A propos de la rupture du (nouveau) contrat d’apprentissage.

Malgré des réformes successives, l’apprentissage est à la peine en France, et le chiffre souhaité des 50.000 apprentis n’a jamais été atteint.
La loi du 5 septembre 2018 permet-elle d’espérer une amélioration significative ?

Par Alain Hervieu

L’apprentissage constitue le mode le plus ancien d’acquisition d’un diplôme et de transfert des connaissances professionnelles puisque, sous des formes évidemment différentes, il était déjà connu au Moyen-Age dans le cadre des corporations.

Néanmoins, depuis qu’il a été concurrencé par d’autres modalités de formation professionnelle, il semble être devenu le parent pauvre de celle-ci.

Si l’on recensait en juin 2017, 420.000 apprentis en France, cela ne représentait que 7% des jeunes de 15 à 25 ans (âge limite en principe à l’époque pour pouvoir entrer en apprentissage) soit deux fois moins qu’en Allemagne.

De même, si 70 % des jeunes passés par l’apprentissage trouvent un emploi sept mois après la fin de leur contrat, taux variable évidemment selon les secteurs d’activité, et si 57% des employeurs se révèlent satisfaits de l’apprentissage, néanmoins presque 30% des contrats sont rompus avant la fin, que ce soit par l’apprenti ou par l’employeur.

Diverses réformes ont essayé depuis plusieurs années d’ouvrir le régime de l’apprentissage à l’origine très strict, dans sa forme, sa durée, sa rupture, sans arriver pour autant à lui donner l’essor que l’on attend de lui et qu’il mérite sans doute.

Ainsi, l’apprentissage peut depuis 2014 être conclu sous la forme soit d’un contrat à durée déterminée, dans les limites de temps exposées précédemment, soit dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée [1].

Dans ce dernier cas, ce contrat à durée indéterminée débute par une période d’apprentissage pendant laquelle il est régi par les dispositions spécifiques au contrat d’apprentissage.

La loi pour "La liberte de choisir son avenir professionnel" du 5 septembre 2018 a voulu réformer en profondeur et assouplir le mécanisme de l’apprentissage et elle est sans doute celle qui a le plus de chances de parvenir à effacer le désamour dont l’apprentissage est l’objet depuis plusieurs décennies.

Les nouvelles dispositions ne sont applicables qu’aux contrats d’apprentissage conclus après le 1er janvier 2019.

Ainsi, la loi a notamment assoupli la durée du contrat d’apprentissage, qui dépendant de la durée de la formation poursuivie pourra aller de 6 mois minimum à 3 ans, l’entrée en apprentissage pouvant par ailleurs, se faire dorénavant tout au long de l’année.

De même, elle a repoussé l’âge limite pour entrer en apprentissage qui était jusque là de 25 ans en principe, à 29 ans révolus. Cet assouplissement a pour objectif en ouvrant l’apprentissage à un nombre plus important de jeunes, soit de poursuivre l’obtention de diplômes plus élevés, soit de favoriser d’éventuelles reconversions professionnelles.

Mais c’est incontestablement dans le domaine de la rupture du contrat d’apprentissage qu’elle a apporté les modifications les plus importantes et qui devraient avoir un impact sur le développement de l’apprentissage en incitant les employeurs à ne plus craindre les rigueurs de la rupture éventuelle du contrat d’apprentissage.

Quelles sont aujourd’hui les modalités possibles de rupture du contrat d’apprentissage ?

D’abord, quelque soit la forme de contrat à durée déterminée ou indéterminée dans laquelle intervient l’apprentissage, il a toujours été admis que pendant une première courte période, (d’« essai »), le contrat pouvait être rompu unilatéralement par l’une ou l’autres des parties.

Cette rupture qui n’a pas à être motivée doit seulement intervenir dans le délai des quarante-cinq premiers jours de formation pratique, continus ou non, effectués en entreprise par l’apprenti, fixé par l’article L 6222-18 du Code du Travail, et elle doit être notifiée selon le cas, au directeur du Centre de formation ou au responsable de l’établissement d’enseignement et à la chambre consulaire.

Cette hypothèse de rupture, qui ne donne lieu en principe à aucune indemnité, ne soulève pas d’autre difficulté que celle du respect du délai dans lequel elle est enfermée.

Rappelons simplement à cet égard que l’absence pour maladie du salarié suspend ce délai de quarante-cinq jours [2] mais que la rupture prononcée pendant un arrêt pour accident du travail est nulle [3].

Passé ce délai de quarante-cinq jours, le contrat quelque soit sa durée, peut encore selon l’article L 6222-7 alinéa 2, être rompu pendant la période de formation, par un accord écrit signé des deux parties.

Ce mode de rupture que l’on peut qualifier d’amiable ou d’un commun accord, n’est pas une rupture conventionnelle au sens de l’article L 1237.11 du Code du travail, et il n’est donc pas soumis aux règles qui régissent celle-ci.

En revanche, si l’apprentissage est convenu dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, et que la rupture d’un commun accord intervient après la fin de la période d’apprentissage, cette rupture amiable change de nature et devient soumise aux dispositions des articles L 1237.11 et suivants.

En effet, depuis 2014, l’apprentissage pouvant être conclu dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée aussi bien que pour une durée déterminée, l’article L6222-7 du Code du travail prévoit qu’à l’issue de la période d’apprentissage, « la relation contractuelle est régie par les titres II et III du livre II de la 1e partie, à l’exception de l’article L1221-19 ».

Cette dernière exclusion ayant pour seul objet d’interdire la conclusion d’une période d’essai, il résulte de ce texte que passée la période d’apprentissage, le contrat se poursuit comme un contrat à durée indéterminée, notamment en ce qui concerne les règles relatives à la rupture, de sorte que toute rupture conventionnelle ne peut plus intervenir que dans le cadre des articles L 1237-11 et suivants.

La conclusion qui résulte de ce constat c’est que paradoxalement, la rupture par accord est moins encadrée et le salarié ici moins protégé pendant la période d’apprentissage qu’après son expiration.

Ceci montre également que les spécificités de l’apprentissage, notamment concernant la rupture, sont strictement cantonnées à la période d’apprentissage elle-même.

Ce que l’on peut déduire également de cette situation, c’est que plutôt que de s’engager sur une période d’apprentissage longue, les parties, et notamment l’employeur, ont intérêt à conclure des périodes d’apprentissage plus courtes, limitées au 1er diplôme recherché, quitte à renouveler ensuite ces périodes d’apprentissage jusqu’à l’obtention du diplôme final souhaité, comme la loi le permet, pour autant, en tout cas, que le salarié n’ait pas atteint l’âge limite lors de la signature de la dernière période d’apprentissage.

C’est donc finalement pendant la durée de cette période d’apprentissage qu’il convient d’examiner les modalités de rupture, en particulier à l’initiative de l’une des parties.

Cette hypothèse est celle qui soulevait le plus de difficultés dans le cadre du contrat d’apprentissage, puisque les parties se trouvaient dépossédées du droit de rupture unilatérale.

Traditionnellement, le contrat d’apprentissage ne pouvait être rompu que par une décision du Conseil de Prudhommes, et ni le salarié ni l’employeur n’en n’avaient la possibilité, l’apprenti ne pouvant pas démissionner [4] et l’employeur ne pouvant quelques soient ses motifs, rompre le contrat d’apprentissage, sans commettre une faute [5].

Lorsque l’on connaît la durée des procédures prud’homales, cette obligation incontournable, rendait toute rupture unilatérale, longue et particulièrement aléatoire pour l’employeur.

Le Code du travail avait d’abord précisé les hypothèses permettant au Conseil de Prudhommes de prononcer cette rupture, qui étaient « la faute grave de l’une des parties, les manquements répétés de l’une des parties à ses obligations ou l’inaptitude de l’apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer ».

La loi du 17 août 2015 avait accéléré cette procédure en prévoyant que le conseil de Prudhommes statuait « en la forme des référés », ce qui réduisait la procédure à quelques semaines, voire quelques jours.

L’innovation essentielle apportée par la loi du 5 septembre 2018, figure dans l’article L6222-18 alinéa 3 qui dispose : « A défaut, le contrat peut être rompu en cas de force majeure, de faute grave de l’apprenti, d’inaptitude constatée par le médecin du travail dans les conditions de l’article 4624-4 du Code du travail, ou en cas de décès d’un employeur maître d’apprentissage dans le cadre d’une entreprise unipersonnelle ».

Cette disposition modifie les hypothèses permettant la rupture à l’initiative de l’entreprise, en les précisant et en incluant des situations qui pouvaient auparavant poser de véritables problèmes.

Mais surtout, le texte prévoit que « la rupture prend la forme d’un licenciement prononcé selon les modalités prévues aux articles L 1232-2 à 1232-6 et 1332-3 à 1332-5 ».

Cela signifie que, pendant la période d’apprentissage, si les motifs de rupture à l’initiative de l’employeur restent les seuls prévus par la loi, en revanche, l’employeur retrouve son pouvoir de décision, en ayant le droit de décider de la rupture, sous réserve de respecter les règles applicables en matière de licenciement, et d’en assumer les risques.

Il y a donc ici, une dissociation entre les motifs de la rupture unilatérale qui restent spécifiques à l’apprentissage, et sa forme qui devient celle de tout contrat à durée indéterminée, lorsqu’elle est décidée par l’employeur.

Par ailleurs, la loi ne distinguant pas, on peut penser que cette modalité de rupture s’applique même lorsque les parties ont fait le choix de conclure un contrat d’apprentissage à durée déterminée.

On aurait donc cette figure curieuse d’un contrat à durée déterminé rompu par un licenciement… Notons cependant que l’on rencontre une situation sensiblement proche, en cas de rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée pour motif disciplinaire, puisque les articles L 1332-3 et suivants sont applicables [6].

Cette possibilité aligne ici le mode de rupture unilatérale de l’apprentissage par l’employeur, sur celle du contrat à durée indéterminée qui succédera à la période d’apprentissage, seuls les motifs différant puisque, après la période d’apprentissage, tout motif réel et sérieux quel qu’il soit, légitimera le licenciement.

On doit d’ailleurs relever dans la succession des règles applicables selon les périodes du contrat, d’autres particularités : ainsi, en cas d’inaptitude physique du salarié, l’employeur est légalement dispensé de l’obligation de rechercher un reclassement pendant la période d’apprentissage (article L 6222-18 al 3 in fine), alors qu’après, il est tenu à cette recherche sauf dispense expresse par le médecin du travail, ce qui est pour le moins paradoxal.

En outre, pour tenir compte du fait que le contrat d’apprentissage se déroule pour partie au sein d’un établissement de formation, ce qui en est une condition essentielle, l’article L 6222-18-1 a prévu que l’exclusion définitive de l’apprenti par le centre de formation autorise l’employeur à engager une procédure de licenciement, l’exclusion caractérisant le motif réel et sérieux de celui-ci. A défaut, l’apprenti s’il n’est pas inscrit dans les deux mois dans un nouveau centre de formation, devient titulaire d’un contrat de travail de droit commun.

Enfin, lorsque l’entreprise d’accueil de l’apprenti est mise en liquidation sans continuation d’activité, le contrat d’apprentissage est rompu par le liquidateur, et l’apprenti a droit à une indemnité égale aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat.

Une autre question se pose, en cas de non respect par l’employeur, soit des conditions de fond, soit des règles de procédure applicables à la rupture décidée pendant la période d’apprentissage.

L’article L6222-18 du code du travail, s’il qualifie cette rupture de licenciement, ne renvoie qu’aux textes régissant la procédure applicable à celui-ci, ainsi qu’aux ruptures sanctions, en cas de faute disciplinaire, à l’exclusion de toute autre référence.

Dès lors, quelles sanctions appliquer en cas de licenciement irrégulier ou sans motif prévu par le texte ? La rupture étant qualifiée de licenciement, devra-t ’on appliquer les sanctions prévues pour le licenciement irrégulier, ou celles résultant du barème Macron, si le motif n’est pas valable ? Ou doit-on rechercher une autre solution ?

Faut-il distinguer selon que l’apprentissage prend la forme d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée ?

L’unité de la règle malgré la diversité des situations semble conduire à écarter les sanctions classiques du licenciement.

La Cour de cassation avait jugé que « la rupture par l’employeur d’un contrat d’apprentissage hors des cas prévus par l’article L 117-17 du Code du travail est sans effet ; dés lors, l’employeur est tenu sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu’au jour où le Conseil de Prudhommes, saisi par l’une des parties statue sur la résiliation. D’autre part, le juge qui prononce la résiliation du contrat aux torts de l’employeur, doit le condamner à payer une indemnité réparant le préjudice subi du fait de la rupture anticipée du contrat. » [7].

Le motif de cette solution n’est pas transposable à la rupture injustifiée du contrat pendant la période d’apprentissage, puisque l’employeur a aujourd’hui le droit de rompre lui-même le contrat, pour les motifs prévus par la loi.

La différence est donc que l’on se trouve aujourdhui dans une situation où, l’employeur titulaire du droit de rompre, ne peut néanmoins le faire que dans certains cas.

Plus précisément, la situation est analogue à celle rencontrée dans un contrat à durée indéterminée comportant une garantie d’emploi. La jurisprudence avait admis en cas de contrat d’adaptation comportant une période de formation, que cette période constituait une garantie d’emploi pendant laquelle le contrat ne pouvait être rompu sauf cas particuliers [8].

Or, la sanction du non-respect d’une clause de garantie d’emploi est, en application du droit des contrats, le paiement d’une indemnité égale au montant des salaires qui auraient été perçus jusqu’au terme de cette garantie. La Cour de cassation a validé cette solution en décidant d’ailleurs que cette indemnité n’était pas compatible avec le revenu de remplacement servi par Pôle Emploi [9].

Cette sanction a l’avantage de s’appliquer indifféremment à l’apprentissage qu’il ait la forme d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée.

Cette indemnité semble donc constituer la sanction minium à laquelle pourra s’ajouter la réparation du préjudice subi du fait de la perte d’emploi, voire de la non obtention du diplôme préparé.

En ce qui concerne maintenant la rupture unilatérale par l’apprenti, la réglementation antérieure ne la permettait pas et l’employeur ne pouvait pas l’accepter.

Là encore, la loi du 5 septembre 2018 l’a autorisée après la fin de la période initiale de quarante-cinq jours et pendant la période de formation, en respectant un préavis et après que l’apprenti ait sollicité l’intervention d’un médiateur chargé de résoudre les différends entre les employeurs et les apprentis ou leurs familles au sujet de l’exécution ou de la rupture du contrat d’apprentissage.

La décision de l’apprenti étant pas nécessairement liée à l’existence d’un différend, on ne voit pas bien l’utilité de l’intervention systématique du médiateur, sauf à considérer qu’elle a simplement pour objet de protéger l’apprenti contre des décisions intempestives de sa part et à convenir avec l’employeur des modalités concrètes de la rupture.

Quoiqu’il en soit, on peut penser que l’employeur doit s’abstenir d’accepter une décision de rupture de l’apprenti, aussi longtemps que le médiateur n’a pas été saisi sous peine de risquer de se voir imputer la responsabilité de cette rupture.

En revanche, à l’expiration de la période d’apprentissage, le Droit commun du contrat à durée indéterminée devenant applicable, l’apprenti devenu salarié ordinaire pourra démissionner sans formalités particulières.

En conclusion, la réforme de la loi du 5 septembre 2018, en assouplissant largement les modalités de rupture de l’apprentissage a des chances de rendre celui-ci beaucoup plus attractif et de favoriser ainsi son développement.

Alain Hervieu, Avocat.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Article L 6222- 7 loi du 5 mars 2014.

[2Soc. 16 mars 2004.

[3Soc. 06 mai 2014.

[4Soc. 23 septembre 2008.

[5Soc. 16 juillet 1997.

[6Soc. 11 avril 1997 ; Soc. 4 juin 2008.

[7Soc. 4 mai 1999.

[8Soc 18 juillet 1995.

[9Cass AP 13 décembre 2002.