Comment évaluer l’atteinte à l’image de marque ?

« Il faut 20 ans pour construire une réputation et cinq minutes pour la détruire » Warren Buffet

L’atteinte à l’image de marque a deux facettes : le dénigrement et le parasitisme. Dans le cas du dénigrement, l’impact concret est absolument flagrant, puisque l’ensemble des cas portés en justice se résument à « Je suis meilleur que mon concurrent X » ou « X est mauvais » ou encore « le produit de X est mauvais », ce qui n’est évidemment jamais bon pour l’image de marque. Dans le cas du parasitisme, il est souvent plus subtil de distinguer l’atteinte aux droits privatifs et l’atteinte à l’image, mais celle-ci constitue pourtant là aussi un préjudice à part entière. Comment argumenter devant la justice sur les impacts d’un tel préjudice ? Quelles sont les erreurs à éviter ? Et quelles stratégies choisir pour obtenir réparation ?

Caractériser l’atteinte

On ne saurait suffisamment insister sur l’importance de la réputation comme actif incorporel d’une entreprise, en ce qu’elle influence la décision d’achat des consommateurs et donc les résultats. En effet, que le contrefacteur propose un produit d’une qualité moindre, ou à un prix moindre, voire le plus souvent les deux, c’est toujours l’image de la marque contrefaite qui en pâtit. Dans certains cas, parce que la différence de prix est telle que les deux produits ne peuvent s’adresser au même public, l’atteinte à l’image et ses répercussions constituent en fait le véritable enjeu. C’est lorsque les publics des deux produits se croisent que la contrefaçon fait alors son effet : s’il est possible de bénéficier de l’aura de la marque à vil prix, ce sont, selon les termes de l’avocat de Louis Vuitton et Dior Couture, dans un procès les opposant au site de vente en ligne Ebay, « les valeurs de créativité, d’originalité, de qualité et de raffinement » que le parasitisme vient abîmer. Très prosaïquement, ce qui découle de cette image écornée, c’est une moins grande appétence pour les produits, et une difficulté à justifier le prix associé à cette image élitiste construite au fil du temps.

De l’importance de preuves précises et chiffrées

Dans ce type d’affaires, le demandeur met très souvent en avant un effet sur son chiffre d’affaires, ainsi qu’« un préjudice irréparable à sa notoriété, comme le souligne l’avocat et ancien magistrat Michel Toporkoff,…mais il n’apporte en général aucun élément de preuve sérieux quant à l’atteinte de son image de marque », alors que des indemnisations conséquentes peuvent être demandées. En réponse, le défenseur a alors beau jeu de prétendre que le demandeur exagère considérablement, que la preuve de l’existence et de l’importance du préjudice n’est pas établie, et qu’il n’y a en réalité aucune atteinte à l’image de marque. Toujours selon Michel Toporkoff, cette situation s’explique « notamment parce que les avocats (et en général les juristes) n’ont pas (la plupart du temps) de culture du chiffre et ne vont donc pas chercher à obliger leurs clients à travailler sérieusement sur ce point ».

On est sûr et certain de se trouver dans une telle situation lorsque le jugement annonce une réparation du préjudice, mais sans faire référence à aucun élément concret. Le juge a donc accordé une réparation… mais au doigt mouillé.

Les techniques d’évaluation et leurs enjeux spécifiques

Il convient d’une part de caractériser l’atteinte, en mesurant le degré de ressemblance et le risque de confusion lors de l’achat. En deuxième lieu, et c’est ce qui nous intéresse particulièrement ici, il importe de mesurer l’impact de manière fine et convaincante :

1) Les baisses de revenus doivent être argumentées au passé mais également pour l’avenir – car il y a un effet rémanent voire progressif de l’atteinte à l’image –, en prenant en compte la diminution de la croissance potentielle ainsi que les baisses de prix concédées pour compenser l’évolution défavorable de la demande.

2) L’impact sur l’image doit être établi de la manière la plus rigoureuse possible, par le truchement d’analyses marketing comparatives sur la réputation de la marque et des caractéristiques qui lui sont associées. Un échantillon doit avoir été spectateur du dénigrement ou du parasitisme, et l’autre échantillon doit en être indemne. Cette comparaison peut donc se faire en deux lieux différents, ou au sein d’une même population avant et après l’événement incriminé, mais elle doit, pour convaincre, développer une véritable rigueur méthodologique, à savoir des échantillons et des questions non biaisées.

3) Un troisième aspect à mettre en avant est celui des coûts globaux de cette atteinte à l’image : les investissements passés en matière publicitaire, marketing, commercial s’en trouvent dépréciés, et cette dépréciation doit être évaluée, et des dépenses ont lieu et vont avoir lieu, dans ces mêmes domaines, pour simplement œuvrer à rétablir l’image. Il est rare toutefois que la baisse du cours des actions soit un argument recevable, dans la mesure où il s’agit d’une perte potentielle qui n’a pas été réalisée s’il n’y a pas eu vente des titres.

En l’absence d’une analyse solide des impacts, il existe en outre une solution pragmatique qui peut être encouragée par le demandeur. Elle consiste à considérer la contrefaçon comme une acquisition illicite de licence, et à utiliser cette licence implicite comme une indemnisation plancher que l’on multiplie d’un coefficient à déterminer. Plusieurs facteurs seront alors pris en compte : la taille de l’entreprise ; son ancienneté ; ses actifs de propriété intellectuelle ; son budget marketing…Les estimations auront d’autant plus d’influence sur la décision finale qu’elles seront solides dans leurs fondements et dans leurs méthodes.

Jordan Belgrave

« Article initialement publié dans le JMJ n°53 »