Dragueurs de la machine à café : entre séduction et humiliation, l’étau se resserre…

Longtemps banalisé, le sexisme ordinaire et ses conséquences font l’objet d’une prise de conscience qui se traduit notamment par la multiplication de témoignages sur les réseaux sociaux, les sites Internet, dans la presse ou même la bande dessinée. La lecture des propos, attitudes et comportements fondés sur des stéréotypes de sexe, relatés sur ces sites de témoignages sont édifiants. Ces agissements, bien qu’ayant une apparence de moindre intensité que le harcèlement sexuel, moral ou la discrimination, peuvent néanmoins avoir de graves répercussions sur les salarié(e)s qui en sont victimes et sur le bon fonctionnement de l’entreprise.

Le sexisme touche tous les milieux professionnels sans exception. Le constat est sans appel, le « ras-le-bol » est général !

Selon un sondage pour le compte du Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, 63% des femmes auraient modifié leur comportement par peur des réactions sexistes.

Or, désormais, ce n’est plus la femme qui devra modifier son comportement.
Dragueurs de la machine à café, Casanova de l’open-space, changez vos habitudes, vous êtes dans le viseur du législateur…

Construction d’un arsenal législatif.

La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a introduit une nouvelle disposition dans le Code du travail interdisant et définissant les « agissements sexistes ». Selon, l’article L.1142-2-1 « Nul ne doit subir d’agissements sexistes, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Première étape législative, celle-ci en appelait nécessairement une autre sur les moyens devant être mis en œuvre pour prévenir les agissements sexistes.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, impose désormais aux employeurs : (i) l’obligation d’intégrer l’interdiction de « tout agissement sexiste » dans le règlement intérieur de l’entreprise (C.trav. Art. L.1321-2 2° ) ; (ii) l’obligation de « planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes » (C.trav. Art. L.4121-2 7°).

Sont concernés tous les employeurs du secteur privé, ainsi que les fonctionnaires, la loi étant venue étendre l’interdiction au secteur public.

Le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) devient un acteur de la lutte contre le sexisme. Le législateur lui offre, dans le cadre de son rôle, la possibilité de proposer « des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes » (C.trav. Art. L.4612-3 du Code).

Ainsi, les agissements sexistes figurent parmi les risques professionnels au même titre que le harcèlement moral, le harcèlement sexuel et la discrimination, contre lesquels l’employeur doit lutter sous peine de voir sa responsabilité engagée au titre de son obligation d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés.

La mise en oeuvre d’actions concrètes.

Les entreprises, de plus de 20 salariés, soumises à l’obligation d’établir un règlement intérieur doivent désormais y inclure une disposition rappelant aux salariés que nul ne doit subir des agissements sexistes et ce, sous peine d’une amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe
(C. trav. Art. R.1323-1).

L’employeur doit également inclure dans son plan de prévention des risques ceux liés aux agissements sexistes. Il devra notamment à ce titre, définir une politique de prévention du sexisme, élaborer un programme d’action contre le sexisme en impliquant le CHSCT, définir clairement les actes prohibés, intégrer la lutte contre le sexisme dans le dialogue social en réalisant une enquête interne et en adoptant une attitude bienveillante, sensibiliser les salariés sur l’interdiction des comportements sexistes par le biais de formations, prendre en charge les victimes et traiter des situations de sexisme en procédant à une enquête et en assurant un suivi de la victime, instaurer une vigilance des managers, des ressources humaines sur l’éventuelles présence de stéréotypes dans les procédures en place dans l’entreprise (offres d’emplois, fiche de poste, entretien d’embauche ou d’évaluation), construire une communication externe et interne dépourvues de stéréotypes de sexe (intranet, affichages, lettre d’information, publicité, marketing…).

Ce que risque l’auteur d’agissements sexistes.

Ces nouvelles dispositions vont permettre aux victimes d’alerter leur employeur et/ou le CHSCT de comportements, agissements propos sexistes, et à l’employeur de sanctionner l’auteur des agissements par une sanction pouvant aller du blâme ou de l’avertissement, jusqu’au licenciement.

Ce que risque l’employeur de la victime.

La victime d’agissements sexistes peut saisir la juridiction prud’homale et solliciter la condamnation de son employeur à des dommages-intérêts (i) au titre de la violation de l’interdiction de tout agissement sexiste lorsque les agissements sont commis par un salarié de l’entreprise, (ii) au titre du non-respect, par son employeur, de son obligation d’assurer la santé et la sécurité et ce, quelle que soit la personne ayant commis ces agissements (collègue, fournisseur, client).

La jurisprudence considérant qu’il s’agit d’une obligation de moyen renforcée, la responsabilité de l’employeur pourra néanmoins être écartée si ce dernier justifie avoir pris toutes les mesures de prévention pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salarié(e)s et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de porter atteinte à la santé et à la sécurité d’un(e) salarié(e), a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.

"Sexism free".

En introduisant ces nouvelles dispositions dans le Code du travail, le législateur a marqué sa volonté (i) de faire de l’entreprise un espace protégé du sexisme, afin de favoriser le bien être des femmes et des hommes au travail et la performance économique de l’entreprise ainsi que de (ii) participer au processus de changement des mentalités et des comportements relatifs à la place des hommes et des femmes dans les organisations de travail.
Le juge prud’homal, quant à lui sera probablement amené à trancher au cas par cas entre « sexisme ordinaire »
et « amour courtois ».

Néanmoins et en tout état de cause, lutter contre les agissements sexistes ne doit pas signifier qu’il doit être mis un terme aux moments conviviaux autour de la machine à café.

Aurélie Kamali-Dolatabadi
Cohen Amir-Aslani

Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°55.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.