Entrepreneurs : comment accepter l’aide d’un proche sans tomber dans le salariat ?

Il est naturel qu’un ami ou un membre de votre famille souhaite vous donner un coup de main dans votre affaire.
Mais cette aide ne doit pas être un cadeau empoisonné. Si le coup de main est considéré comme étant du travail salarié, cela va générer un risque de redressement de la part de l’URSSAF, voire un risque de condamnation pour travail dissimulé.

En cas de mésentente, votre proche pourrait aussi se retourner contre vous et saisir le Conseil de prud’hommes. Si le travail dissimulé est reconnu, il pourrait même vous réclamer une indemnité forfaitaire équivalente à 6 mois de salaire.

C’est pourquoi vous devez bien maîtriser les règles relatives à l’entraide familiale et amicale.

La position de l’URSSAF.

La position de l’URSSAF repose sur une lettre circulaire [1].

L’entraide familiale est définie comme étant une aide ou une assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée, en dehors de toute rémunération et de toute contrainte.

L’aide occasionnelle est celle qui n’est pas durable. Elle ne doit pas se prolonger dans le temps ou se répéter.

L’aide spontanée est, pour l’URSSAF, celle qui suppose l’absence d’une activité organisée. L’intervention de votre proche ne doit pas avoir été prévue au programme.

L’aide ne doit pas dépasser le cadre du devoir d’assistance entre parents et enfants ou du devoir d’assistance entre les époux.

Le versement d’une contrepartie modique pour cette aide, y compris en nature, est une rémunération.

Pour l’URSSAF, vos liens de parenté avec la personne aidante ne sont nullement la preuve d’une absence de lien de subordination. Celui qui vous aide doit être sur un même pied d’égalité que vous.

Par exemple, si vous croisez un proche un peu par hasard et qu’il se propose de vous aider à porter un meuble que vous souhaitez déménager dans votre entreprise, cela ne va pas en faire un salarié (évitez quand même de lui payer un coup à boire, sait-on jamais).

Une petite entraide de ce genre est quasi accidentelle et ne va pas changer la situation économique de votre entreprise. Vous pourriez vous en passer, au point que cette entraide fait plus plaisir à la personne qui vous aide qu’à vous-même.

Le risque de contrôle URSSAF ne doit pas brider les initiatives entre proches dans une société qui manque cruellement de solidarité.

En revanche, une entraide habituelle, importante ou organisée, risquerait d’alerter l’URSSAF, laquelle souffre de la fâcheuse manie d’apercevoir des salariés partout où elle pose son regard.

La position de la jurisprudence.

Le juge judiciaire estime en tout état de cause que la relation salariale est caractérisée par une prestation de travail, un lien de subordination et une rémunération.

Le problème est qu’il ne faut pas grand chose pour le juge afin de caractériser ces éléments et de valider un redressement de l’URSSAF.

Concernant l’entraide familiale, sans surprise, la jurisprudence a une position très similaire à celle de l’URSSAF. L’aide familiale ne doit pas être nécessaire au fonctionnement normal de l’entreprise. La personne aidante ne doit pas être facilement confondue avec un salarié [2].

Chaque détail compte. Par exemple, un membre de la famille du gérant d’une société qui porte le même uniforme que les membres du personnel peut être un indice de salariat déguisé [3].

Il est parfois précisé que l’aide apportée doit être désintéressée et non nécessaire à l’accroissement de l’activité de l’entreprise [4].

Relève de l’entraide familiale le frère d’un auto-entrepreneur qui vend des fruits et légumes sur les marchés à trois reprises, sachant qu’il a été démontré que l’auto-entrepreneur a toujours travaillé seul, l’aide de son frère étant donc dispensable [5].

Relève de l’entraide familiale la mère d’un commerçant qui génère un chiffre d’affaires particulièrement réduit. En l’espèce, il s’agissait d’une personne âgée qui accompagnait de temps en temps son fils afin de ne pas rester seule chez elle [6].

N’est pas également un emploi salarié, le fait pour la fille d’un gérant d’encaisser des clients et de répondre au téléphone à de rares occasions au point que les clients de l’entreprise ne l’ont jamais identifié comme un membre du personnel [7].

Le salariat ne saurait encore se caractériser lorsqu’un ancien gérant rend visite de temps en temps à son fils qui a repris l’entreprise familiale et que quelques encaissements de clients sont effectués sans aucune régularité [8].

En revanche, on sort de l’entraide familiale lorsque cette dernière correspond à un poste indispensable au fonctionnement de l’entreprise [9].

Par exemple, est une relation de travail salarié, le fils d’un restaurateur qui venait effectuer des services régulièrement le week-end pour 10 euros de l’heure alors qu’il n’avait pas d’emploi et qu’il ne poursuivait pas d’études [10].

Est un travail salarié une implication trop importante de la mère d’un associé dans la gestion de l’entreprise [11].

Le redressement URSSAF est justifié concernant le père d’un gérant qui venait régulièrement dans l’entreprise afin de conseiller son fils et qui, parfois, recrutait du personnel ou recherchait des potentiels clients [12].

Le juge judiciaire semble appliquer le même raisonnement que celui de l’entraide familiale concernant l’entraide amicale. On peut tout de même souligner que l’entraide est plus difficilement admise lorsqu’il n’existe pas de liens de parenté entre la personne aidante et l’entrepreneur [13].

Relève de l’entraide amicale et non d’un contrat de travail, le fait pour un gérant d’un bar de se faire remplacer par une amie le temps d’aller prendre une douche, l’amie en question étant par ailleurs elle-même gérante d’un commerce [14].

N’est pas un emploi salarié, un ami qui vient aider un agriculteur lors d’un jour de vendanges, sachant que l’ami en question avait déjà un travail salarié et que l’agriculteur avait déjà recruté suffisamment de salariés pour récolter le raisin. De plus, il a été démontré que cette aide apportée n’était pas prévue [15].

Par contre, lorsque l’ami en question travaille plusieurs fois par semaine dans un cadre organisé afin de remplacer un salarié, l’existence d’une relation de travail est établie [16].

De même, est considéré comme étant un contrat de travail, le fait pour l’amie d’une exploitante d’un magasin de vêtements de remplacer cette dernière quelques heures afin qu’elle puisse effectuer des démarches personnelles. Le problème est que cette aide n’était pas exceptionnelle car l’amie avait tendance à effectuer régulièrement des remplacements [17].

Derniers conseils pratiques.

Ne jamais recourir à l’entraide amicale ou familiale pour éviter d’embaucher. Concrètement, lorsque l’aide dont vous avez besoin peut être comblée par l’embauche d’un salarié, déclarez tout simplement votre proche et payez-le comme n’importe quel salarié. Cela aura un coût mais avec une contrepartie de taille : votre tranquillité.

Concernant le conjoint pacsé ou marié, il est possible, sous certaines conditions, de le faire participer à l’activité de l’entreprise sous le statut de conjoint associé ou de conjoint collaborateur.

Evitez si possible de recourir à de l’entraide amicale et familiale lorsque vous exercez votre activité sous la forme d’une société. Il existe une grande incertitude à ce sujet.

Normalement, le fait pour une société commerciale de bénéficier d’une entraide ne suffit pas à caractériser automatiquement un contrat de travail [18].

Certes, des juges n’ont aucun soucis à admettre l’existence d’une entraide amicale ou familiale dans le cadre d’une société [19].

Toutefois, dans certaines décisions, on peut constater que les juges estiment qu’une personne morale ne peut avoir de liens familiaux et amicaux, ce qui ferait obstacle à toute entraide [20].

D’autres décisions coupent la poire en deux en estimant que l’entraide est possible lorsque l’activité de la société implique une dimension familiale [21].

Evitez de bénéficier de l’aide d’un proche qui est sans emploi ou sans activité. Si votre proche a une activité rémunératrice extérieure, il sera beaucoup plus difficile pour l’URSSAF de soupçonner une dépendance économique de votre aidant vis-à-vis de vous. Or, la dépendance économique peut être un indice d’un lien de subordination, et donc d’un contrat de travail.

Ne donnez pas d’ordres ni de consignes et évitez d’attribuer à votre proche un titre ou un statut. Les codes de votre entreprise ne doivent pas s’appliquer à lui car il n’en fait pas partie. Plus vous allez saupoudrer l’entraide d’organisation, plus votre proche donnera l’impression d’intervenir dans un cadre professionnel, ce qui augmentera votre risque de redressement URSSAF.

N’attribuez aucune autre contrepartie que votre reconnaissance. Même un petit cadeau pourrait être identifié comme étant une rémunération. Expliquez bien cela à votre proche si vous ne souhaitez pas passer pour un ingrat.

Evidemment, ne faites pas signer une décharge à votre proche, lequel attesterait ne pas travailler en tant que salarié. Un tel document n’empêchera pas l’URSSAF ou un juge de caractériser l’existence d’un contrat de travail. De plus, cette vaine tentative de contourner le paiement de charges sociales sonnerait presque comme un aveu de travail dissimulé.

Arthur Tourtet,
Avocat au Barreau du Val d’Oise.

Article initialement publié sur Le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Lettre-circ. ACOSS n° 2003-121, 24 juill. 2003.

[2Cour d’appel de Paris, 9 octobre 2014, n°12/11807.

[3Cour d’appel de Lyon, 5 juin 2018, n°17/00163.

[4Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 20 avril 2016, n°14/16689.

[5Cour d’appel de Rouen, 21 février 2018, n°16/02068.

[6Cour d’appel de Douai, 28 avril 2017, n°15/02676.

[7Cour d’appel de Bourges, 24 mai 2013, n°12/00094.

[8Cour d’appel de Toulouse, 10 janvier 2014, n°12/01572.

[9Cour d’appel de Rouen, 11 décembre 2019, n°17/03456.

[10Cour d’appel de Toulouse, 14 janvier 2020, n°19/00076.

[11Cour d’appel de Paris, 9 novembre 2017, n°15/09232.

[12Cour d’appel de Besançon, 4 septembre 2018, n°17/02088.

[13Cour d’appel de Lyon, 10 décembre 2019, n°18/06954.

[14Cour d’appel de Bastia, 18 décembre 2013, n°13/00053.

[15Cour d’appel de Bordeaux, 6 décembre 2018, n°16/02792.

[16Cour d’appel de Montpellier, 12 juin 2019, n°15/02253.

[17Cour d’appel de Nîmes, 14 octobre 2014, n°13/05801.

[18Cour de cassation, Chambre civile 2, 9 juillet 2020, n°18-25.640.

[19Cour d’appel de Riom, 23 février 2016, n°14/01626.

[20Cour d’appel de Lyon, 10 décembre 2019, n° 18/06954. Cour d’appel de Paris, 9 novembre 2017, n° 15/09232.

[21Cour d’appel de Besançon, 22 juin 2012, n°11/01834.