Faut-il craindre l’ouverture des données immobilières au grand public ?

La mise à disposition des données foncières par Bercy, parce qu’elle contribue à une plus grande transparence des prix de l’immobilier, draine également une certaine crainte des professionnels de l’immobilier. La menace est-elle réelle ? Rien n’est moins sûr…

Par Caroline Theuil

Le 24 avril dernier, la Direction générale des Finances publiques a mis en ligne une nouvelle application web, app.dvf.etalab.gouv.fr, permettant de rendre publique la base « Demandes de Valeurs Foncières » (DVF). Cette ouverture était tout particulièrement attendue par les experts immobiliers qui y voient un gage définitif de leur indépendance.

Le phénomène d’ouverture des données immobilières n’est pas un phénomène nouveau. En effet, tout le monde disposait déjà d’un accès à la base de l’Administration dès lors qu’il se connectait à son compte fiscal personnel, dans la rubrique « rechercher des transactions immobilières ». Longtemps, réservée aux contribuables devant estimer leur bien dans le cadre de l’impôt sur la fortune, de droits de succession et de donation, ainsi qu’à ceux touchés par une procédure d’expropriation et de redressement de la valeur, cette base avait été étendue, le 1er mai 2017, aux particuliers souhaitant vendre ou acquérir un bien immobilier : les vendeurs pouvaient ainsi fixer un prix conforme aux actes de cessions enregistrés au fichier immobilier ; les acheteurs, quant à eux, pouvaient vérifier s’il n’était pas trop élevé.

Le service permettait donc déjà d’établir l’évaluation d’un bien immobilier par comparaison avec les prix réels des ventes similaires dans un secteur géographique donné. Il suffisait de fournir toutes les informations que l’on détenait sur le logement dont on voulait connaître la valeur (localisation, nombre de pièce, surface etc…) pour obtenir une liste de transactions de biens similaires, réalisées dans le même périmètre géographique. En accédant par ce biais aux dernières valeurs immobilières connues, le grand public disposait donc d’informations bien plus précises et objectives que tous les autres indices des prix immobiliers. Toutefois, si le service permettait incontestablement de se « documenter », il ne répondait pas directement à la problématique de l’évaluation. Et c’est bien là que l’exercice est délicat…

Certains professionnels l’ont bien compris et ont développé des outils d’estimation immobilière, de plus en plus riches et de plus en plus performants… Bien qu’ils se multiplient sur la toile, ces outils d’estimation ne peuvent offrir une estimation juste et pour cause, certaines données comme l’exposition d’un bien vis-à-vis du soleil, le découpage des pièces, la qualité des équipements, l’existence de servitudes, de règles d’urbanisme particulières… sont rarement prises en compte par ce type d’outils. Or, ils peuvent pourtant impacter fortement la valeur d’un bien, à la baisse comme à la hausse. Ainsi, seule la visite approfondie d’un professionnel de l’immobilier peut permettre d’obtenir une évaluation fiable.

Si l’on pousse le raisonnement à son paroxysme, au sein même de la profession immobilière le niveau d’expertise est multiple et varié : tandis que certains rédigent des avis de valeurs, d’autres estiment un bien en quelques minutes sans avoir vu le bien, d’autre engagent leur responsabilité professionnelle dans un rapport d’expertise immobilière de plusieurs dizaine de pages. Au delà de la différence d’approche, la vraie problématique est ailleurs : la qualité demande du temps, des compétences… le temps c’est de l’argent… Quoiqu’il en soit seul le professionnel aguerri à l’exercice est en mesure de cerner les problématiques de droit privé (servitudes, droit des loyers, etc.) et de droit public (droit de l’urbanisme, droit de l’expropriation, droit fiscal, etc.) attachées au bien, de porter un jugement sur les facteurs techniques de la valeur (nature des constructions, qualité architecturale, état de l’immeuble et des équipements, etc.), de procéder à un raisonnement économique sur la valeur d’échange du type de bien expertisé et d’apprécier l’incidence de la réglementation fiscale sur le fonctionnement des marchés immobiliers.

Pour réaliser une évaluation immobilière, il ne suffit donc pas de disposer d’un fichier de références immobilières, il est indispensable de savoir interpréter les données et appliquer le panel méthodologique induit tout particulièrement par la Charte de l’Expertise en Évaluation Immobilière.

Caroline Theuil, Juriste.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.