Fiscalité des oeuvres d’art : "l’art est long, la vie est courte".

Selon l’acception actuelle des deux premières lignes d’un aphorisme énoncé par le médecin grec Hippocrate, « Ars longa, vita brevis » : « l’Art est long, la vie est courte ».

Cette expression trouve tout son sens dans le domaine de la fiscalité des œuvres d’art, où l’Art perdurera même si l’une des incitations fiscales pour promouvoir les collections privées devrait s’éteindre dans les années à venir.

Alors que de plus en plus d’entreprises exposent des tableaux et sculptures dans leurs locaux, pour le plus grand bonheur de leurs clients et collaborateurs, nous revenons sur la déduction spéciale en faveur des entreprises se portant acquéreuses d’œuvres originales d’artistes vivants.

Prévu par l’Article 238 bis AB du CGI, ce dispositif autorise, sous certaines conditions, la déduction du résultat imposable d’une somme correspondant au prix d’acquisition des œuvres concernées.

Peuvent en bénéficier :
- Les sociétés soumises à l’IS ;
- Les sociétés relevant du régime fiscal des sociétés de personnes ;

Il convient de préciser que les entreprises soumises à l’IR dans la catégorie des BNC sont exclues de ce dispositif.

Les œuvres d’art éligibles sont celles désignées à l’Article 98 A de l’Annexe III au CGI :
1. Tableaux, collages et tableautins similaires, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l’artiste, à l’exclusion des dessins d’architectes, d’ingénieurs et autres dessins industriels, commerciaux, topographiques ou similaires, des articles manufacturés décorés à la main, des toiles peintes pour décors de théâtres, fonds d’ateliers ou usages analogues ;
2. Gravures, estampes et lithographies originales tirées en nombre limité directement en noir ou en couleurs, d’une ou plusieurs planches entièrement exécutées à la main par l’artiste, quelle que soit la technique ou la matière employée, à l’exception de tout procédé mécanique ou photomécanique ;
3. A l’exclusion des articles de bijouterie, d’orfèvrerie et de joaillerie, productions originales de l’art statuaire ou de la sculpture en toutes matières dès lors que les productions sont exécutées entièrement par l’artiste ; fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit ;
4.Tapisseries et textiles muraux faits à la main, sur la base de cartons originaux fournis par les artistes, à condition qu’il n’existe pas plus de huit exemplaires de chacun d’eux ;
5. Exemplaires uniques de céramique, entièrement exécutés par l’artiste et signés par lui ;
6. Emaux sur cuivre, entièrement exécutés à la main, dans la limite de huit exemplaires numérotés et comportant la signature de l’artiste ou de l’atelier d’art, à l’exclusion des articles de bijouterie, d’orfèvrerie et de joaillerie ;
7. Photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus.

L’artiste doit être vivant au moment de l’achat de l’œuvre !

Il ne s’agit donc pas d’acheter un "Picasso" mais plutôt d’encourager des artistes peu ou pas assez connus, ne demandant qu’à voir leur talent reconnu.

Il importe peu que les œuvres soient achetées directement auprès de l’artiste ou via un intermédiaire, telle qu’une galerie d’art par exemple.

Ce dispositif étant très encadré, d’autres conditions doivent être respectées :
- Les œuvres d’art doivent être inscrites à l’actif du bilan de la société en tant qu’immobilisations ;
- Les œuvres doivent être exposées dans un lieu accessible au public ou aux salariés, à l’exception des bureaux, et ce pour une période de 5 ans (exercice d’acquisition + 4 années suivantes) : il peut s’agir des salles de réunion, des couloirs, du restaurant d’entreprise, de l’accueil, etc…

Si toutes les conditions précitées sont respectées, l’entreprise peut déduire de son résultat imposable une somme correspondant au prix d’acquisition de l’œuvre d’art immobilisée, par fractions égales sur les résultats de l’exercice d’acquisition + les 4 années suivantes.

Le montant de la déduction effectuée au titre de chaque exercice est limité à la différence entre la limite de 10.000 euros ou de 5‰ du CA (lorsque ce montant est plus élevé) et le montant des versements ayant donné droit à une réduction d’impôt au titre du mécénat d’entreprise.

Pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2020, la limite de 10 000 euros sera portée à 20 000 euros.

Enfin, la fraction du résultat comptable correspondant à la déduction effectuée de manière extra comptable doit être affectée à un compte de réserve spéciale figurant au passif du bilan.

Paris a longtemps été la première place au monde pour les ventes aux enchères, et la France dominait le marché de l’art du XVIIe siècle à la première partie du XXe siècle.

Aujourd’hui, la France est largement devancée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Chine, bien que le marché de l’art français connaisse un nouvel essor notamment avec l’arrivée du Brexit (preuve en est l’installation du galeriste David Zwirner à Paris fin 2019).

Or, comme en de nombreux domaines, la fiscalité est la palette à disposition du législateur pour dessiner les contours d’une politique visant à développer et promouvoir le marché de l’art français.

Ainsi, de nombreuses mesures ont été prises pour protéger les artistes par exemple, en instituant un droit de suite qui est le droit dont les artistes et leurs héritiers bénéficient de recevoir une commission lors de la revente des œuvres de l’artiste en question.

Le régime de TVA des œuvres d’art, le mécénat d’entreprise ou encore la dation en paiement sont autant de dispositifs destinés à promouvoir les collections privées et à élargir les collections publiques.

Néanmoins, la France a choisi, dans le cadre de la Loi de finances pour 2020, de limiter dans le temps l’avantage fiscal résultant de l’acquisition d’œuvres originales d’artistes vivants par les entreprises, afin d’en apprécier la pertinence et, plus vraisemblablement, d’en envisager la suppression, en disposant que les achats doivent être effectués avant le 31 décembre 2022.

A moins que contre toute attente, une prolongation du dispositif ne soit votée dans les prochaines lois de finances, ce dernier devrait donc prendre fin à cette date.

Nous ne pouvons donc qu’encourager les entreprises à profiter de ce dispositif rapidement pour bénéficier de cet avantage fiscal et d’une communication attractive et singulière auprès de leurs clients, tout en offrant un cadre de travail agréable et stimulant à leurs collaborateurs.

Par Rodolphe Mossé, Avocat et Laura Jaricot, Fiscaliste,
MOSSÉ & ASSOCIÉS

Article initialement publié sur Le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.