Focus sur la responsabilité du dirigeant d’entreprise.

Dirigeant, vous souhaitez maîtriser l’exposition de votre risque ? Vous vous demandez dans quel cas votre responsabilité peut être engagée ?
La responsabilité du dirigeant peut être engagée lors de la réalisation de certain évènements et à tout moment de la vie sociale.
Afin de mieux se protéger il est nécessaire de comprendre les mécanismes engageant la responsabilité du dirigeant.

1/ Pourquoi le dirigeant voit sa responsabilité engagée ?

La mise en cause de la responsabilité est de plus en plus fréquente pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, tous les professionnels font l’objet davantage d’actions en responsabilité que par le passé (nous pouvons prendre l’exemple des experts-comptables, des médecins, des notaires).

Ensuite, l’action en responsabilité est un outil permis par le législateur qui donne aux associés une capacité de lutter contre les dérives dans la gestion. En effet, les associés, afin de contrôler la gestion, disposent principalement de deux instruments : la révocation ou l’action en responsabilité.

Enfin, il faut s’intéresser au cas de l’associé minoritaire qui ne peut pas obtenir la révocation par vote et qui ne peut donc obtenir gain de cause qu’à travers l’action en responsabilité contre le dirigeant.

Le législateur ne prévoit pas de régime uniforme de responsabilité des dirigeants. Il existe donc des dispositions à de multiples endroits dans les Codes de commerce et civil et ceci pour chacun des types de sociétés.
On peut toutefois, s’intéresser à l’article 1843-5 du Code civil qui s’applique à l’ensemble des sociétés.
Cet article général est complété par plusieurs dispositions en fonction des types de sociétés :
- art L 225-251 c.com pour les SA,
- art L 227-7 c.com pour les SAS,
- art L 223-22 c.com pour les SARL.

A travers l’ensemble de ces textes, on peut toutefois identifier des principes communs.
La responsabilité des dirigeants peut être envisagée sous deux angles : une responsabilité envers les tiers et une responsabilité envers les associés ou la société.

2/ Comment peut être engagée la responsabilité des dirigeants envers la société ou envers les associés ?

Dans tous les cas et ceci même en dehors du cas du dirigeant, pour que la responsabilité puisse être engagée il faut la conjonction de trois éléments :
- un fait générateur,
- un préjudice,
- un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.

2.1 Définition du fait générateur.

L’article 225-251 du Code de commerce dispose que les administrateurs sont responsables individuellement ou collectivement ; soit de la violation des dispositions législatives et réglementaires, soit des violations des statuts, soit d’une faute de gestion.

Le cas de la violation des dispositions législatives.

Il s’agit du cas où le dirigeant s’octroie des pouvoirs qui appartiennent normalement à un autre organe. Il viole alors un texte du Code de commerce.

Le cas de la violation des statuts.

C’est le cas du dirigeant qui a dépassé l’objet social dans le cadre de ses fonctions. Il convient alors de distinguer le cas de la société à risque limité de celui de la société à risque illimitée.
Dans une société à risque illimitée, le dirigeant qui réalise un acte qui dépasse l’objet social n’engage pas la société. L’objectif de cette règle est de protéger les associés qui sont indéfiniment responsables. Il est donc décidé que la société n’est pas engagée lorsque l’acte du dirigeant dépasse l’objet social.
Dans une société à risque limitée, la règle est la protection des tiers. Par ailleurs, les associés ne sont responsables qu’à hauteur de leurs apports. Par conséquent, on considère que la société reste engagée même si l’acte dépasse l’objet social.
La responsabilité du dirigeant peut alors être engagée dans l’hypothèse où la société subit un préjudice émanant de cet acte (qui dépasse l’objet social).

Le cas de la faute de gestion.

C’est le cas d’un écart de conduite des dirigeants par rapport à une gestion avisée des affaires sociales. Il n’y a pas forcément de dispositions législatives pour ce cas.
L’écart de conduite peut être un fait positif, c’est-à-dire un engagement inconsidéré et sans contrepartie pour la société.
L’écart de conduite peut également être une abstention, c’est-à-dire que le dirigeant aurait dû agir. Par exemple, il aurait dû demander un paiement et il s’est abstenu ; la société a donc subi un préjudice.

2.2 Définition du préjudice.

Les associés peuvent invoquer deux types de préjudices :
- L’associé demande réparation du préjudice causé à la société, c’est une action ut singuli, ou action sociale.
- L’associé demande réparation du préjudice qu’il a subi personnellement, on parle alors d’action individuelle.

Dans les deux cas, l’action doit être exercée dans un délai de trois ans à compter du fait dommageable ou à compter de la révélation du fait.
Le principe est que la société reste engagée à l’égard des tiers sauf si le tiers avait connaissance du dépassement de l’objet social.

Remarque : les deux actions en responsabilité peuvent être cumulées.

Le cas de la réparation du préjudice causé à la société par l’action ut singuli.

Lorsque la société subit un préjudice à la suite d’une faute des dirigeants, ces derniers qui sont les représentants de la personne morale devraient normalement agir en justice : c’est l’action sociale ut universi.
Toutefois, on se rend bien compte qu’un dirigeant n’agira jamais contre lui-même. Ce sont alors les associés qui agissent et se fondent sur l’action ut singuli.
Remarque : cette action est souvent exercée lorsqu’il y a succession de dirigeants.

Définition de l’action ut singuli : c’est l’action sociale intentée par les associés au nom et pour le compte de la société. Cette action est prévue par l’art 1843-5 du Code civil. Elle existe pour tous les types de sociétés.

Les dommages-intérêts sont alors versés à la société et non pas aux associés directement. Les associés agissent alors pour le bien commun de la société dans l’intérêt général.
Dans les faits, cette action n’est pas si fréquente, pourtant elle a été facilitée par le législateur. Il a notamment prévu que deux types de clauses soient réputées non écrites :
- La clause des statuts qui aurait pour effet de subordonner l’action à l’autorisation de l’assemblée générale, art L 225-253 du Code de commerce.
- La clause de renonciation par les associés à une telle action.

Remarque : le quitus qui est donné par l’assemblée n’exclut donc pas une action en responsabilité. C’est-à-dire que ce n’est pas parce que le quitus a été donné par une assemblée quant à l’action du dirigeant que ce dernier ne peut plus voir sa responsabilité engagée.

Le cas de la réparation du préjudice individuel de l’associé par l’action individuelle.

Dans cette hypothèse l’associé demande réparation d’un préjudice personnel distinct du préjudice causé à la société.
Cette décision est peu fréquente, car il est rare que l’associé subisse un préjudice personnel distinct du préjudice social. La jurisprudence définit assez strictement le préjudice personnel.
Exemple de préjudice distinct subi personnellement par l’associé :
- détournement par le dirigeant des dividendes revenant à un associé. Le préjudice est bien subi par l’associé individuellement,
- la surévaluation d’un apport en nature qui va diluer les autres actionnaires.

Le cas de la dépréciation de la valeur des titres suite à une mauvaise gestion du dirigeant n’a pas été retenu comme un préjudice individuel, car c’est la valeur de l’ensemble des titres qui est évalué et c’est donc l’ensemble des associés et la société qui sont concernés et non pas un actionnaire pris individuellement.

3/ Comment peut-être engagée la responsabilité du dirigeant envers les tiers ?

Exemple : le cas d’une société qui aurait conclu un bail commercial et qui aurait arrêté de payer ses loyers. Le propriétaire, qui est un tiers à la société est fondé à agir. Il est nécessaire de distinguer deux situations :
- le cas où la société fait l’objet d’un redressement judiciaire,
- le cas où la société est en bonne santé financière.

Cas de la société faisant l’objet d’un redressement judiciaire
Dans cette situation, les cas d’indulgence envers les dirigeants sont plutôt rares. La faute du dirigeant est recherchée. L’objectif du juge ici sera de réparer le préjudice subi par les tiers.

La responsabilité personnelle du dirigeant pourra être invoquée à raison des fautes de gestion qu’il aurait pu commettre. On peut distinguer deux types d’actions :
- l’action en comblement de passif qui permet de renflouer les caisses de la société et de payer les créanciers,
- l’action en extension du règlement de la liquidation judiciaire, non seulement le créancier va pouvoir obtenir réparation de son préjudice à l’aide du patrimoine de la société, mais aussi à l’aide du patrimoine personnel du dirigeant.

Cas de la société en bonne santé financière (dite in bonis).
Dans cette situation, le juge aura tendance à être plus indulgent, car la société est en bonne santé financière. La responsabilité personnelle du dirigeant sera donc plus difficile à mettre en œuvre.

L’action normale ne sera donc pas d’engager la responsabilité personnelle du dirigeant, car il reste protégé par la personne morale.
Ainsi, et pour reprendre l’exemple cité précédemment, lorsque le locataire ne paye pas ses loyers il y a inexécution du contrat.
Le bailleur peut donc engager une action en responsabilité sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Le dirigeant est alors protégé par la personne morale, c’est donc la responsabilité de la société qui est engagée.

Pour résumer, la personne morale sert d’écran, de bouclier contre le dirigeant sauf si le dirigeant commet une faute personnelle détachable de son mandat.

4/ Comment définir la faute détachable des fonctions ?

On peut se rapporter à l’arrêt la Cour de cassation du 20 mai 2003.
Ainsi cet arrêt retient que la responsabilité personnelle du dirigeant ne peut être retenue que s’il a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement.
La faute détachable des fonctions suppose la réunion d’une faute intentionnelle, d’une particulière gravité, qui soit incompatible avec l’exercice des fonctions sociales.

La faute doit comporter un caractère intentionnel.
C’est la conscience que la personne a du fait que son comportement va causer un dommage à un tiers. La faute est appréciée subjectivement.

La faute doit être d’une particulière gravité :
C’est une faute qu’en principe un dirigeant ne doit pas commettre, là encore l’appréciation des juges du fond est souveraine.

Une faute incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales.
Cela signifie que la personne qui a commis une telle faute n’est plus digne de confiance et ne peut plus diriger la société.
Ainsi la faute doit venir de l’exercice des fonctions sociales et ne peut pas être d’une origine extérieure à l’exercice des fonctions sociales.

Exemple :
- Si le dirigeant utilise une voiture à des fins personnelles qui appartient à la société et qu’il y a un accident ; la faute du dirigeant peut-être engagée. C’est une faute personnelle, car en utilisant ce bien à des fins personnelles le dirigeant l’a détourné sa fonction initiale.
- Si le dirigeant a un accident de voiture avec sa voiture personnelle ; l’accident n’a rien à voir avec son mandat social. Un tiers ne peut donc pas agir en utilisant sa fonction de dirigeant. Il ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité personnelle du dirigeant.

5/ Conclusion.

La responsabilité du dirigeant peut être engagée dans de nombreux cas. Il est indispensable que celui-ci ait pleinement conscience de ces cas afin de mieux se protéger.

Nicolas Gurnot,
Expert Comptable à Paris.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.