Juristes et Business : c’est l’heure des bonnes résolutions !

Au sein d’une entreprise, les cadres du département juridique et ceux de la branche « business » se côtoient quotidiennement. Se comprennent-ils pour autant ? Parlent-ils le même langage ? Partagent-ils au moins un vocabulaire commun ? Il semble que ce ne soit pas toujours le cas. D’où des tensions passagères entre "opérationnels" et juristes.

D’un côté, les premiers ont vocation à construire une relation avec les clients et à apporter du chiffre d’affaires, de l’autre, le juriste a pour mission d’accompagner l’opérationnel dans le développement de ses projets, jusqu’à leur aboutissement, dans le respect de la loi. Il lui incombe également d’alerter l’entreprise sur les risques juridiques potentiels.

Ces deux métiers sont donc aussi cruciaux que complémentaires pour l’entreprise. Juristes et acteurs du « business » sont amenés à travailler ensemble, souvent sur des sujets techniques, parfois complexes. Pourquoi ont-ils le sentiment d’appartenir à deux planètes différentes ? Pourquoi ne communiquent-ils pas plus efficacement ? Par manque de temps pour s’impliquer correctement ? Par paresse ? Facilité ? Parce que chacun maîtrise trop son sujet pour songer à expliquer ce qui n’a d’évident que pour lui ? Quoi qu’il en soit, chaque partie doit avoir la volonté d’éviter « le dialogue de sourds ». Chacun doit garder à l’esprit qu’il s’adresse à un non-initié. C’est dire qu’un effort pédagogique mutuel s’impose.

Au juriste, de s’abstenir du jargon juridique et d’asséner un cours de droit inaudible pour son interlocuteur. Ce dernier, en effet, aspire à obtenir des solutions, des résultats ; il attend pragmatisme et créativité juridique. Le juriste ne doit-il pas être un facilitateur et non un frein au développement des projets ?

Au business d’éviter le langage inutilement technique et de « vulgariser » son propos afin que le juriste comprenne bien tous les enjeux. Il lui faut impérativement détenir toutes les cartes en amont pour rédiger correctement un contrat et élaborer une stratégie juridique efficace.

Imaginez un jeune juriste d’entreprise qui prend son poste dans une société dont il ne connaît pas encore le détail des activités. Dès le 2ème jour, il rencontre les directeurs des différentes branches « business ». L’un d’entre eux lui explique : « Nous avons des problèmes avec notre blending plant au Moyen-Orient et il nous faut rapidement renégocier le tolling agreement ». Le 3ème jour, un autre requiert urgemment de « rédiger à nouveau le SCP (Safety and Coordination Plan) dans le contrat de cogénération » !

Si les termes « contrat », « renégociation », « agreement » sont familiers au juriste, quid du « blending plant », « tolling » ou de la « cogénération » ? Il est urgent d’apprendre et de vite comprendre les activités diverses de l’entreprise, les enjeux et les contraintes.

De la même manière, mettez-vous dans la peau d’un ingénieur qui travaille depuis plus de vingt ans dans son domaine technique ; imposez lui subitement l’aide d’un juriste qui lui explique que son projet n’est pas viable car il existe un risque d’« abus de position dominante » ou qu’il ne peut tout simplement pas résilier son contrat comme il le souhaite, même si le préavis mentionné est respecté. Si le juriste ne prend pas le temps, avant la discussion de fond, d’expliquer les termes, les risques avérés ou potentiels et donc les enjeux pour l’entreprise, nul doute que la réunion sera difficile voire houleuse.

Lors de mes sessions de formation en entreprise, je répète souvent aux opérationnels avec lesquels j’ai établi des relations de confiance : « Vous avez le juriste que vous méritez ». En effet, si vous demandez au juriste de valider vos contrats sans l’impliquer en amont, il deviendra un censeur sans aucune autre valeur ajoutée. Personne n’y trouvera son compte : l’un jugera son expertise mal reconnue ; l’autre s’estimera entravé dans son projet. Si, en revanche, vous associez le juriste, en amont, aux discussions internes, aux négociations, il devient un partenaire à part entière et se trouve à même de garantir l’accomplissement du projet. Il en devient véritablement co-producteur et le but commun sera atteint : faire du « business » dans le respect des lois.

Delphine Bordier
Juriste

Animateur du site des Experts de l’entreprise