La mutualisation des réseaux électriques en Afrique doit s’accompagner de nouvelles formes d’ouverture aux investisseurs privés.

L’électrification de l’Afrique subsaharienne doit encore surmonter de nombreux obstacles. Les Etats ne disposant pas individuellement de la taille économique critique pour exploiter les économies d’échelle intrinsèques au secteur ont tout intérêt à mutualiser leurs infrastructures et leurs réseaux. La solution a déjà fait ses preuves dans le domaine public mais mériterait d’être étendu à de nouvelles formes d’investissement.

L’Afrique subsaharienne accuse toujours un retard très important en matière d’électrification.
Aujourd’hui, seuls 30% de la population des pays africains ont accès à l’électricité et ce chiffre n’atteint que 14% dans les zones rurales [1] est seize fois plus faible que la consommation moyenne mondiale [2] guère épargnées par les coupures et partout les prix sont élevés. En Afrique subsaharienne, le prix moyen du kilowattheure est supérieur à 10 centimes d’euros alors qu’il ressort à moins de 5 centimes en Asie [3] qu’il faudrait investir en Afrique 40 milliards de dollars par an pendant dix ans. La situation actuelle reste donc très préoccupante et la plupart des pays africains doivent importer leur énergie. Même le Nigéria, exportateur de produits pétroliers bruts, importe du carburant, faute de capacités de raffinage suffisantes.

Des abandons de souveraineté nécessaires

Pourquoi ces blocages persistants qui freinent considérablement le développement de l’Afrique ? Au niveau des coûts des infrastructures énergétiques, ces derniers sont trop élevés pour des ressources fiscales mobilisables nettement insuffisantes par pays. Les Etats africains n’ont pas les ressources pour financer les infrastructures capables de fournir en électricité leur population. Au niveau des tarifs, pour proposer des prix abordables aux consommateurs, les producteurs nationaux d’électricité doivent amortir des coûts fixes mais butent sur la faible taille des marchés nationaux.

Il existe pourtant des solutions innovantes et viables. Elles passent par la mutualisation des infrastructures énergétiques entre Etat Africains et en parallèle, par l’attraction de nouveaux types d’investisseurs internationaux privés. Cette mutualisation implique des abandons de souveraineté à l’échelle nationale. Ces abandons se révèleront toutefois vite intéressants s’ils permettent à chaque pays de tirer profit des avantages comparatifs des parties prenantes d’un projet. Quant aux investisseurs privés, en provenance d’Afrique ou d’ailleurs, ils pourront trouver, dans le financement des infrastructures énergétiques, des possibilités de rendements attractifs. En effet, les rendements des obligations émises en Afrique sont supérieurs à ceux des pays développés. A titre illustratif, alors que pour une durée de dix ans, la France émet des bons du trésor à un rendement inférieur à 0,5%, le Sénégal offre 6,25% de rendement aux investisseurs pour la même maturité.

Des capitaux privés pour relancer des projets en suspens

La gestion en commun des infrastructures énergétiques existe déjà en réalité. Ainsi, l’exploitation du potentiel hydroélectrique du fleuve Sénégal a abouti en 1972 à la création de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), structure gérée conjointement par le Sénégal, la Mauritanie, le Mali et la Guinée désormais. Le barrage de Manantali se trouve au Mali mais chaque pays membre de l’OMVS détient une « clé de répartition » qui détermine son quota d’utilisation de l’énergie produite en fonction de sa participation au financement de l’infrastructure.

Sans ouverture aux capitaux privés, ces infrastructures, ou projets d’infrastructures, atteignent néanmoins leurs limites. Par exemple, un pays comme la République démocratique du Congo (RDC) n’a ni la capacité financière pour financer un projet colossal comme celui d’Inga III, ni l’envergure économique. L’investissement privé doit ainsi se substituer progressivement à la dette privé et à la dette souveraine. Un tel schéma pourrait être structuré par la vente sur le marché des capitaux des titres de propriétés des infrastructures à créer.

Avec un taux de croissance annuel moyen estimé à 5,3% sur la période 2015-2017, l’Afrique doit faire face à des besoins énergétiques en augmentation constante. Mettre en place des structures mutualisées entre plusieurs pays, ouvertes aux investisseurs internationaux, et le cas échéant cotées en Bourse, devrait être une priorité des dirigeants africains. Les modalités juridiques, institutionnelles et la couverture des risques encourus par les investisseurs potentiels doivent être les chantiers privilégiés des Etats pouvant participer aux infrastructures mutualisées, mais aussi des organisations sous régionales regroupant ces états et pourquoi pas la Commission Economique pour l’Afrique et l’Union Africaine.







Par Birama Boubacar Sidibé, CEO d’Interface et ancien vice-président de la Banque islamique de développement (BID) et Sidy Diop vice-président de Microeconomix, cabinet de conseil en expertise économique et régulation.

Notes

[1Chiffres Association pour le Développement de l’Énergie en Afrique, Eurogroup

[2Chiffres Association pour le Développement de l’Énergie en Afrique, Eurogroup

[3Jeune Afrique, Mai 2015