Le Transhumanisme : futur de l’Homme ?

Prémunir l’être humain contre les maladies, le perfectionner contre les aléas de la vie, et peut-être un jour lutter contre le vieillissement, telle est l’ambition du transhumanisme.
Au-delà de ce dessin philosophique et parfois romanesque, le transhumanisme est aussi un enjeu économique et juridique majeur et actuel qui perd peu à peu son aspect futuriste. Les grandes sociétés américaines de la Silicon Valley jouent déjà l’avenir de l’être humain et des technologies.

Rappelons que le transhumanisme est un courant de pensée scientifique, intellectuel et culturel qui considère les maladies, le handicap, le vieillissement et la mort comme des aspects inutiles et indésirables de la condition humaine. Il promeut l’usage des découvertes neuroscientifiques, génétiques et robotiques pour améliorer l’être humain physiquement et intellectuellement.

Né dans les années 1980 aux USA, le courant a vite gagné les majors américaines de la Silicon Valley. Ainsi, Google se lance ouvertement dans cette voie depuis quelques années et se présente comme l’un de ses plus fervents défenseurs, en finançant diverses sociétés exerçant dans les domaines des nanotechnologies, biotechnologies, informatiques et sciences cognitives sous-tendant les buts du transhumanisme ou en finançant la Singularity University qui forme les spécialistes de ces secteurs d’activité.

Le mouvement rameute beaucoup de fonds étrangers et d’entreprises pharmaceutiques internationales qui ont forcément un rôle à jouer, avec les entreprises de nouvelles technologies et de robotique, dans le développement des outils qui amélioreront la santé des humains, domaine brassant aujourd’hui et annuellement des milliards de dollars.

Le transhumanisme est-t-il un danger pour l’être humain ?

Les premiers développements du transhumanisme voient le jour depuis quelques années dans les domaines combinés de la médecine et de la technologie, et les partisans du mouvement (Raymond Kurzweil, Ronald Bailey, l’Association française transhumaniste…) souhaitent poursuivre, accélérer et pousser la recherche toujours plus loin afin de parvenir à l’être post humain, humain « augmenté » dont ils rêvent.

Mais bien d’autres, tels que l’écrivain Alain Damasio dans son roman La Zone du Dehors (1999), craignent les risques que posent déjà ces développements pour l’être humain, notamment pour sa vie privée (données personnelles, crainte du contrôle de l’être humain par les technologies, notamment par une intelligence artificielle), et fustigent la perte de notre identité humaine et naturelle aussi bien individuelle que collective.

Comment réconcilier ces deux positions antagonistes ? Comment améliorer les conditions de vie de l’être humain, aussi bien physiques qu’intellectuelles, sans porter atteinte à nos libertés fondamentales, à l’intégrité du corps humain et à la cohésion du corps social ?

Tour d’horizon du transhumanisme au service de l’être humain.

Quelques exemples illustrent les domaines où les nouvelles technologies peuvent venir au service de l’Homme.
En 2013, Calico (aujourd’hui filiale d’Alphabet au même titre que Google) est créée pour se spécialiser dans la recherche en biotechnologies avec le but avoué de lutter contre le vieillissement en augmentant l’espérance de vie de vingt ans. Bien que peu prolixe sur son activité, son enveloppe d’1,5 milliards de dollars est financée pour moitié par Alphabet et pour moitié par AbbVie, entreprise américaine de recherche pharmaceutique.
Le conglomérat Alphabet (créé en 2015) détient aussi Verily (créée également en 2015 et financée aussi à hauteur de 800 millions de dollars par le fonds souverain singapourien Temasek), qui tente depuis 2014 d’établir le portrait génétique type d’un individu en bonne santé, pour identifier les biomarqueurs permettant de détecter plus rapidement les maladies.
Verily travaille également avec l’entreprise pharmaceutique française Sanofi sur des lentilles de contact à destination des diabétiques, dotées d’une électronique miniaturisée capable de mesurer leur glycémie et de la transmettre à un appareil connecté (tablette, smartphone…).
Avec Sanofi, Verily a également créé la société Onduo en 2016 pour produire des outils d’aide aux diabétiques. Enfin, avec GlaxoSmithKline, industrie pharmaceutique et multinationale britannique avec qui elle a créé une autre société, Verily développe et commercialise des produits bioélectroniques destinés à lutter contre l’asthme et le diabète.
Pour l’instant, Google semble ainsi dominer le marché, mais Apple commence à la concurrencer avec son iWatch qui mesure les variables de santé, tout en étant encore très loin de pouvoir s’y opposer comme un adversaire de taille.

La question se pose souvent de savoir si un droit spécifique doit être créé pour réguler ces domaines. Partant du principe que rien ne se crée ex nihilo et que le droit s’adapte continuellement aux progrès de l’Homme, la législation et règlementation existantes peuvent parfaitement être adaptées à la convergence de toutes ces activités. Du moins est-ce le cas en droit communautaire et européen.
En effet, le corpus juridique européen peut tout autant servir de rempart contre les risques d’atteintes à l’être humain par les nouvelles technologies, comme il le réalise déjà, que de soutien à l’avènement harmonieux du transhumanisme.

A titre de rempart contre les dérives du transhumanisme, en premier lieu :

Les droits de la santé comme de l’e-santé, des biotechnologies ou des nouvelles technologies ont tous développé, à divers degrés de détails selon la spécificité de leurs champs d’application, le respect du droit à la vie privée qui est énoncé aux articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) ou 9 al.1 du Code civil (CC). Cela se traduit notamment par la protection des données personnelles (Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ou loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) qui interdirait par exemple la captation et/ou la conservation des données médicales par un tiers transitant entre la lentille de contact de Verily et l’appareil connecté, sauf autorisation de la personne vis-à-vis de son médecin ou d’un service d’urgence, par exemple, dans des conditions préalablement définies, transparentes et avec un droit de regard de la personne concernée.

Par ailleurs, en France, on peut puiser dans le droit de la responsabilité civile délictuelle (art.1240 CC), du fait des choses (art. 1242 CC) ou du fait des produits défectueux (art. 1245 et s. CC) quand ces outils défaillent et font défaut à notre santé, l’empirent ou causent tout type de dommage au posthumain ou à un tiers, se trompent ou sont trop difficiles d’interprétation. Bien que non préventives, ces mesures permettent néanmoins, dans une certaine mesure, de réparer les dommages causés et de responsabiliser tout autant les entreprises dans la confection de leurs outils que les individus dans l’utilisation de ceux-ci.
C’est précisément l’objet de la responsabilité civile que de faire peser sur les individus cette obligation de prudence dans l’intérêt général, à savoir la cohésion du corps social. Il est donc tout naturel qu’elle continue de s’appliquer aux transhumains.

Enfin, si l’on se projette suffisamment dans l’avenir, beaucoup craignent que le transhumanisme crée des inégalités entre les humains dits « naturels » et les humains « augmentés ». Les derniers bénéficiant d’aptitudes physiques et mentales plus performantes, ils seraient privilégiés dans nombre de domaines, principalement dans le monde du travail (embauche, promotion…), de la politique ou du sport. De plus, l’accès aux nouvelles technologies qui permettraient de se transformer en humain « augmenté » pouvant être coûteux, le transhumanisme ne ferait qu’exacerber les inégalités existantes entre les différentes couches sociales de la société, laissant les moins fortunés dans une condition encore plus inférieure.

Toutefois, le principe d’égalité s’oppose à un tel futur. Enoncé à l’article 14 CESDH, il interdit de traiter de manière différente des personnes placées en une matière donnée dans des situations comparables (arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Willis c/ RU, 11 juin 2002, n°36042/9). Certes, certains pourraient craindre les exceptions au principe d’égalité justifiées de manière objective et raisonnable pour la CEDH (arrêt précité Willis c/ RU), par une « utilité commune » pour la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 1 DDHC) ou par les vertus et les talents des citoyens (article 6 DDHC). En effet, si l’humain « augmenté » est plus talentueux que l’humain « naturel », ne pourrait-il pas être juridiquement privilégié à l’avenir ? La réponse n’a pas à être positive : il suffit de rappeler que les distinctions ne peuvent être faites sur l’origine ou les caractéristiques du citoyen, qu’il s’agisse de sa couleur de peau ou de l’absence de risque de développement d’une maladie que le profil génétique type d’un individu en bonne santé de Verily permettrait à l’avenir.

A titre de soutien à l’avènement du transhumanisme, en second lieu :

Sans pour autant avancer que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) se positionne en faveur du transhumanisme, le Docteur en droit et directeur de l’European Center for Law and Justice Grégor Puppinck interprète, par exemple, certaines de ses décisions à la lumière de ce courant et y voit les prémices de ce qui pourrait servir de règlementation en la matière.
Il estime ainsi que la CEDH aurait « intégré les techniques de dépistage génétique dans la définition de l’homme : l’eugénisme devient ainsi une composante de la nature humaine augmentée », avec son arrêt du 28 août 2012 (Affaire Costa et Pavan c/ Italie, requête n°54270/10, dans lequel elle affirme l’existence d’un droit de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie génétique dont les parents sont porteurs sains. Pour parvenir à cette solution, la Cour se fonde sur le droit à la vie privée de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) et sur l’article 12 de la Convention du Conseil de l’Europe sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (« Convention d’Oviedo ») du 4 avril 1997, qui proclame le droit à des tests génétiques prédictifs pour savoir si l’embryon est porteur de caractéristiques héréditaires pouvant entraîner une grave maladie chez l’enfant à naître.

Dans ce domaine, le déplacement des droits de l’Homme vers les droits des individus conduirait la CEDH, toujours selon Grégor Puppinck, à ne plus fonder les ingérences étatiques légitimes au sein « d’une liberté individuelle indéfinie » « sur une conception de l’homme ou du bien, [mais sur] des arguments scientifiques ».

C’est cette liberté individuelle indéfinie qui fonderait le droit d’accès par tout un chacun aux technologies permettant à l’Homme de s’« augmenter », tout comme le droit de le refuser.
Le transhumanisme ne serait alors que l’une des multiples possibilités pour l’homme d’exercer sa liberté individuelle tant qu’elle ne nuit pas à autrui (article 4 DDHC), d’exprimer à sa guise sa personnalité (droit au développement personnel, CEDH, Bensaïd c/ RU, 6 février 2001, n°44599/98), libre des contraintes physiques ou intellectuelles antérieures, ou de choisir la manière dont il souhaite vivre (droit à l’autodétermination, CEDH, Pretty c/ RU, 29 avril 2002, n°2346/02).
Le transhumanisme ne serait donc qu’une liberté fondamentale comme une autre, notre corpus juridique étant suffisamment large et souple pour s’adapter légitimement à l’évolution de l’être humain et à ses technologies. C’est ce que rappelle constamment la CEDH dans sa jurisprudence : « la Convention est un instrument vivant qui doit s’interpréter à la lumière des conditions actuelles ».

La réflexion juridique sur ce terrain est donc nécessaire, nos Etats de droit devant en effet sans cesse s’adapter à l’évolution humaine et technologique, et elle est déjà amorcée. Ainsi, l’on peut citer le Rapport du Parlement européen de 2009 (Etude sur l’amélioration humaine), qui adopte un point de vue très pragmatique sur la question, en estimant qu’il est nécessaire non seulement de prendre acte du courant transhumaniste et de ses divers développements, mais aussi de réguler ses premières applications, si ce n’est au niveau international, du moins régional.

Expert depuis plus de vingt ans dans les NTIC et l’e-santé, le Cabinet Haas s’engage dans le procès du transhumanisme et est à votre disposition pour vous conseiller dans ces domaines.

Gérard Haas et Laetitia Levasseur.

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