Le pouvoir de sanction de l’employeur sur le contenu des propos tenus par des salariés sur un compte Facebook : la position de la Cour d’appel de Paris - Blandine Allix, Avocat associé, Flichy Grangé Avocats

Il est acquis que le contrôle de l’employeur peut porter sur le contenu des propos tenus par ses salariés sur les réseaux sociaux. Certes, les salariés bénéficient d’un droit à la liberté d’expression applicable quel que soit le support des propos tenus. La liberté d’expression est un droit fondamental prévu à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et le Code du travail prévoit notamment à l’article L. 2281-3 que « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement ». Pour autant, les salariés doivent maîtriser leurs propos car cette liberté d’expression a une limite : l’abus. La Cour de cassation juge ainsi régulièrement que « sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression » (cf. notamment Cass. soc. 27 mars 2013 n°11-19.734). Cet abus est constitué lorsque les propos comportent des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs.

La difficulté est que, même caractérisé, l’abus ne doit pas, pour pouvoir être sanctionné légitimement par l’employeur, concerner des propos ayant un caractère privé. Le respect de la vie privée qui implique en particulier, comme l’a jugé la Cour de cassation dans l’arrêt Nikon (Cass. soc. 2 octobre 2001 n° 99-42.942), le secret des correspondances, oblige en effet le juge à déterminer, lorsqu’il est saisi d’une contestation par un salarié d’une sanction motivée par les propos tenus par ce dernier sur les réseaux sociaux, si ces propos avaient ou non un caractère privé. S’il constate qu’ils avaient un caractère privé, il invalide la sanction.

Toute la question est donc de savoir si des propos exprimés par un salarié à l’égard de son employeur sur un réseau social peuvent être considérés comme ayant été nécessairement tenus sur un espace public ou s’il convient, au contraire, de considérer qu’il s’agissait d’un espace privé.

Les juges du fond se sont donc attachés à déterminer si le « mur Facebook » est présumé public ou privé. L’intérêt de cette présomption est d’importance puisqu’il porte sur la charge de la preuve. En effet, si le « mur Facebook » est présumé privé, c’est à l’employeur de démontrer que le paramétrage du compte était tel que les correspondances ne peuvent être qualifiées de privées. En revanche, si le « mur Facebook » est présumé public, c’est au salarié de démontrer qu’il avait pris les précautions nécessaires pour restreindre l’accès à sa page Facebook à un nombre très limité d’utilisateurs. Et c’est sur la base de cette preuve que le juge appréciera le bien-fondé ou non de la sanction disciplinaire.

Les juges du fond ont rendu des décisions divergentes. Ainsi, pour la cour d’appel de Reims (CA Reims 9 juin 2010 n° 09-03.209), le « mur Facebook » est nécessairement présumé public puisque « nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantit pas toujours la confidentialité nécessaire ». Cette position est également celle de la cour d’appel de Besançon (CA Besançon 15 novembre 2011 n° 10/02642) qui considère que « le réseau Facebook a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroître de façon exponentielle par application du principe « les contacts de mes contacts deviennent mes contacts ». La cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux 1er avril 2014 n° 13/01992) et la cour d’appel de Rouen (CA Rouen 15 novembre 2011 n° 11/01827) considèrent pour leur part que le « mur Facebook » est présumé privé.

A notre connaissance, la cour d’appel de Paris n’avait pas encore eu l’occasion de statuer sur cette question. C’est chose faite. En effet, statuant sur le bien fondé du licenciement pour faute grave d’une salariée qui avait adhéré à un groupe Facebook intitulé « Extermination des directrices chieuses », la cour juge qu’il « incombe à l’employeur de démontrer le caractère public des correspondances litigieuses » (cour d’appel de Paris, pôle 6 chambre 8, 3 décembre 2015 n° 13/01746). Aussi, en faisant porter à l’employeur la charge de la preuve du caractère public des correspondances tenues par la salariée sur Facebook, la cour considère, comme la cour d’appel de Bordeaux et la cour d’appel de Rouen, que le « mur Facebook » est présumé privé. Et en l’espèce, la cour juge que l’employeur a échoué à rapporter cette preuve dans la mesure où « les termes employés[par la salariée] n’étaient accessibles qu’à des personnes agréées par le titulaire du compte et fort peu nombreuses, à savoir un groupe fermé composé de 14 personnes ».

La Cour de cassation n’a pas encore tranché cette question de présomption mais il n’est pas exclu qu’elle considère que le mur Facebook est présumé public. En effet, même si l’utilisateur prend soin d’activer les paramètres de confidentialité mis à sa disposition par Facebook afin de limiter l’accès à ses propos uniquement à ses « amis proches » qui sont en nombre restreint, rien n’empêche ces derniers de les répercuter à leurs propres « amis ». En d’autres termes, les paramètres de confidentialité permettent difficilement à l’utilisateur de maîtriser l’audience de ses propos.