Le pouvoir du juge commissaire de désigner un technicien.

Cas de recours à un technicien - L’article L.621-9 alinéa 2 du Code de commerce issu de la loi de Sauvegarde dispose : « Lorsque la désignation d’un technicien est nécessaire, seul le juge-commissaire peut y procéder en vue d’une mission qu’il détermine, sans préjudice de la faculté pour le tribunal prévue à l’article L. 621-4 de désigner un ou plusieurs experts. Les conditions de la rémunération de ce technicien sont fixées par un décret en conseil d’état ».

Ce texte autorise le juge commissaire à ordonner toute mesure d’investigation destinée à l’éclairer, à l’informer, sans autre restriction que la nécessité.

Le terme « technicien » est générique et englobe tout recours à un sachant ou à une personne qualifiée, et notamment à un expert.

En pratique, cette mesure est utilisée pour obtenir des informations sur la situation financière du débiteur, l’origine de ses difficultés, la qualité de ses dirigeants (Cass. com., 15 mai 2001, n°98-15002 - 2 juill. 2013, n°11-28043 - 24 mars 2004, n°01-11856). Le rapport de l’expert pourra servir ultérieurement à engager une action en responsabilité à l’encontre du dirigeant pour faute de gestion (cass. com., 6 oct. 2009, n°08-10657), ou une procédure de sanctions contre le débiteur et ses dirigeants, ou une action en nullités de la période suspecte. Il peut aussi permettre l’établissement du bilan économique et social ou le plan de redressement, la détermination de la date de cessation des paiements (cass. com., 19 mars 2002, n°99-14147).

Une autonomie de régime.
Celui-ci est fixé par les articles R.621-21 et R. 621-23 du Code de commerce : le juge commissaire peut être saisi sur simple requête ou déclaration au greffe de tout intéressé, et statuer non contradictoirement.

La Cour de cassation a précisé que la mission du technicien n’est pas soumise aux règles applicables à l’expertise judiciaire, ni plus généralement aux mesures d’instructions régies par les articles 232 et suivants du Code de procédure civile (Cass. com., 22 mars 2016, n°14-19915).
Le rapport du technicien lui-même n’a pas à être établi contradictoirement (cass. com., 16 mars 2010, n°09-12008). Il importe seulement qu’il soit débattu contradictoirement en cas d’utilisation dans une instance ultérieure (cass. com., 8 oct. 2003, n°01-00667).

La Cour suprême a jugé que l’article L.621-9 du Code de commerce ne méconnaît pas le principe du contradictoire (Cass. com., 1er févr. 2011, n°10-40057).

Une compétence exclusive.
La compétence du juge commissaire en la matière est exclusive (sans préjudice de celle, facultative, du tribunal de désigner un ou plusieurs experts dans le jugement d’ouverture), ce qui était le but de la loi de Sauvegarde, pour écarter celle, concurrente, du juge des référés expertise de l’article 145 du Code de procédure civile.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le juge commissaire est seul compétent pour prononcer une expertise dite in futurum dirigée contre le débiteur en procédure collective (Cass. com., 17 sept. 2013, n°12-17741).

Toutefois, la jurisprudence ne s’est pas encore clairement prononcée sur les limites de cette compétence exclusive, notamment lorsque l’action future envisagée est dirigée contre un tiers.

Certains juges du fond l’enferment dans les limites de l’article R.662-3 du Code de commerce, en décidant que le juge commissaire n’est pas compétent pour statuer sur une demande de mesure technique lorsque l’action en responsabilité envisagée échappe à la compétence du tribunal de la procédure collective, en ce qu’elle n’est pas née de cette dernière ou soumises à son influence juridique (cass. com., 12 oct. 2009, n°96-18471).

Cela a été jugé pour une expertise demandée en vue d’engager la responsabilité de commissaires aux comptes, pour des faits antérieurs à la procédure collective (CA Paris, 15 janv. 2015, RG n°14/07270).

En revanche, d’autres juges du fond se bornent à rappeler la mission d’« investigations dans le cadre d’une procédure collective » (CA Orléans, 26 juill. 2012 : JD n°2012-017275).

L’article L.621-9 est énoncé en des termes suffisamment larges pour permettre au juge commissaire d’ordonner des investigations sur les causes de l’ouverture d’une procédure collective, et par exemple sur les conditions et les conséquences d’une rupture de partenariat au préjudice du débiteur, en vue d’une éventuelle action en responsabilité contre le ou les cocontractants.

Une clarification de la Cour de cassation serait bienvenue sur ce point.

Stéphanie Staeger, Avocat,
Département Droit des Affaires
Jakubowicz Maillet-Guy et associés.

Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°54.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.