Les avocats et les CPI vous aident à innover.

En matière de propriété intellectuelle, la France offre un paysage singulier où coexistent les professions de CPI (Conseil en Propriété Industrielle) et d’avocat, qui sont statutairement incompatibles, alors qu’elles offrent des services proches, souvent communs, et très complémentaires, pour l’ensemble des problématiques concernant les marques, modèles, et brevets. Que vous souhaitiez savoir comment et où déposer, vous assurer que votre marque ou votre invention sont libres d’usage afin de commencer votre activité, ou encore déléguer les tâches administratives de renouvellement des droits et de veille, qui aller consulter de l’avocat ou du CPI ? Et comment profiter au mieux des compétences de ces professionnels pour vos futurs projets ?

DES DOMAINES BIEN DÉLIMITÉS ?

Les fondamentaux des CPI
Forts d’un bagage scientifique conséquent, les CPI spécialisés en brevet disposent d’une légitimité incontestée sur les stratégies relatives aux brevets : comment décider de la brevetabilité par rapport à l’état de l’art dans un secteur précis ? Comment assurer la rédaction du brevet ou décrire un savoir-faire non brevetable ? Comment s’assurer de la matérialité de la contrefaçon (par reproduction à l’identique ou équivalence) ? Comment rédiger des contrats pour tous les droits relatifs à cette invention ? Les CPI ont souvent une expérience forte du milieu industriel qui leur offre une perspective cruciale pour le bon développement d’une invention.

Bien que des cabinets d’avocats en propriété intellectuelle ont engagé des ingénieurs pour compléter leurs propres compétences, les dispositifs requérant une compréhension précise de la technique ou du produit sont de fait encore du ressort des CPI. Même en matière de contentieux pour des brevets, les CPI ont un rôle névralgique reconnu par les juges lorsqu’ils prononcent le remboursement conjoint des frais d’avocat et de CPI en cas de victoire pour contrefaçon. Néanmoins, avant de confier un dossier, il convient de se renseigner auprès des CPI et des avocats « comme on le ferait avant de consulter un médecin spécialisé en cas de problème grave, car, souligne Martin Schmidt du cabinet Ixas Conseil, il peut y avoir des limites de compétence technique pour les brevets, notamment dans des domaines hautement spécialisés tels que la cryptographie, l’immunologie… ».

La deuxième caractéristique du CPI est son réseau international de correspondants. Celui-ci facilite les formalités à réaliser à l’étranger : recherches d’antériorités, dépôts, renouvellements, précontentieux. Même si, avec l’émergence de la politique communautaire de propriété intellectuelle, de nombreuses démarches peuvent se faire aisément depuis la France, le réseau du CPI reste un avantage considérable pour tout projet concernant un seul pays européen – un cas où ne s’appliquent pas le brevet européen ou la marque communautaire – ou pour intervenir hors Union Européenne. « Élaborer une stratégie de protection et de défense adaptée au contexte, explique la CPI Nathalie Dreyfus, demande une maîtrise, une connaissance précise et une expérience des procédures en matière de propriété industrielle dans le pays concerné ». Aux États-Unis, par exemple, où les frais de justice sont pharaoniques, il est particulièrement avantageux de bénéficier de contacts locaux bien informés qui suggèrent la bonne direction.

Enfin, les CPI sont souvent seuls à disposer des capacités pour la gestion administrative de portefeuilles.

Effectuer en temps et en heure les démarches comme le renouvellement, la veille pour la contrefaçon et le cybersquatting, ou bien encore des recherches spécifiques, et cela pour une grande quantité de titres déposés dans de nombreux pays, exige des logiciels professionnels onéreux et du personnel administratif spécifiquement formé dont peu de cabinets d’avocats disposent actuellement.

La force des avocats
A l’origine, la compétence des avocats portait essentiellement sur leurs connaissances en droit des sociétés, droit des contrats et droit de la PI, et sur leur rôle en matière contentieuse, étant seuls habilités à plaider (jusqu’à la Cour de cassation où un autre avocat devient nécessaire). Ils intervenaient donc pour les montages juridiques complexes et au moment des contentieux. Mais sur cette connaissance du droit et de la réalité des procédures s’est progressivement construite une vision spécifique qui irrigue désormais l’ensemble de leur approche. Progressivement, comme le souligne Corinne Thierache du cabinet Carlara, « les avocats ont pris en charge de nombreuses démarches déjà assurées par les CPI : les recherches d’antériorités portant sur des marques françaises, communautaires et internationales ; le dépôt de marques, dessins et modèles devant les autorités française ou communautaire ; la rédaction des contrats (licence, cession, accord de coexistence…) et leur négociation ; les procédures extra-judiciaires devant les autorités d’enregistrement (opposition, procédure SYRELI…) ».

Ce constat est partagé de manière transversale puisque Martin Schmidt, CPI chez Ixas Conseil, considère que « en dehors des domaines réservés – la représentation devant les tribunaux pour les avocats et la participation à une saisie-contrefaçon pour les CPI – les deux professions sont substituables dans la limite de la compétence opérationnelle de l’avocat ou CPI qui traite le dossier ».

DES RELATIONS EN ÉVOLUTION

Les relations entre ces deux professions ne sont aujourd’hui pas complètement harmonieuses. Comme le résume une avocate : « pour l’instant, chacun essaye de prendre le boulot de l’autre au lieu de travailler ensemble ». Mais cette concurrence coexiste heureusement avec d’autres modes d’organisation plus collaboratifs. De nombreux cabinets d’avocats et de CPI ont développé des partenariats plus ou moins poussés (cf. notre interview avec le cabinet HMV) et ce dans le but, précise Henri Larmaraud du cabinet Clevery Avocats, « d’offrir un travail d’équipe où les limites des prestations soient bien définies au préalable ». Tout pousse d’ailleurs à favoriser cette coopération, depuis la parution du décret sur les sociétés interprofessionnelles [1] à la décision de la Cour d’Appel de Paris qui a confirmé l’année dernière la confidentialité des échanges entre les avocats et les CPI.

De nombreux clients l’ont déjà compris et font systématiquement appel à ces deux professions, qui ont des approches tout à fait complémentaires de la propriété industrielle. Comme l’explique Corinne Thierache du cabinet Carlara, « les avocats sont plus au fait des usages judiciaires, et les CPI plus familiers des usages des autorités d’enregistrement », et côte à côte, ils peuvent développer une véritable stratégie administrative et juridique qui permet de contourner les litiges. Grâce à un dossier robuste, une simple mise en demeure devient la solution pour « près de 90 % des situations litigieuses » sur les marques, souligne Anne Messas du cabinet HMV. Et dans les cas résiduels, la réalité d’une démarche au tribunal est telle, avec « les aléas juridiques, le coût des démarches, et l’énergie dépensée par le client au détriment de son activité, que nous encourageons bien souvent à trouver le meilleur compromis, en négociant par exemple un acte de coexistence selon le territoire ou le secteur économique. S’il nous arrive de lancer une procédure judiciaire, c’est surtout pour montrer notre motivation… puis nous l’abandonnons si la négociation a réussi ». Il est donc indispensable que toutes les démarches soient impeccablement exécutées, et une collaboration entre les deux professions est en cela un atout majeur.

Jordan Belgrave

« Article initialement publié dans le JMJ n°53 »

Notes

[1Décret n° 2014-354, 19 mars 20