Marché public : décompte de résiliation et titre de recettes : attention aux pièges des forclusions ! Cabinet Palmier & Associés

CE 25 mai 2016, Commune de Géménos req.n°389516
Dans un arrêt du 25 mai 2016, Commune de Géménos, le Conseil d’Etat rappelle qu’un requérant n’est plus recevable à contester les sommes visées par un titre de recette dès lors que le décompte de résiliation sur la base duquel il a été émis est devenu définitif.

Règle n°1 : un titre exécutoire doit indiquer les bases de liquidation de la créance
Une collectivité territoriale ne peut mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par une référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels elle se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge de ce débiteur afin de permettre au débiteur d’en vérifier l’exactitude et le bien fondée (CE 21 septembre 1990, Sté de Concours Technique, Req. n°46103- CE 7 janvier 2000, M. BERGOIN, Req.n°195524).

Règle n°2 : stratégie à adopter en cas de notification d’un décompte de résiliation et d’émission d’un titre exécutoire pour recouvrer les sommes visées par le décompte
Le Conseil d’Etat considère qu’en cas de résiliation du marché et d’absence d’établissement du décompte de résiliation, l’entreprise doit, à peine d’irrecevabilité, adresser un mémoire de réclamation à l’administration avant de saisir le juge d’une demande d’établissement du décompte et de règlement du solde (CE 4 mai 2011, req.n°322337, Sté Coved, CE 31 mai 2010, OPH Communauté urbaine de Strasbourg, req.n°313184).

En d’autres termes, en cas d’inertie de la personne publique suite à la résiliation du contrat pour notifier le décompte de résiliation, le titulaire du marché doit lui adresser un mémoire de réclamation en vue de l’établir conformément aux dispositions de l’article 13.4.2 du CCAG-Travaux.

Ce mémoire de réclamation doit impérativement préciser qu’il s’agit d’un mémoire de réclamation, énoncer le différent, exposer de façon précise et détaillé les chefs de préjudices en indiquant d’une part les montants des sommes dont le paiement est réclamées et d’autre part les bases de calcul des sommes réclamées, et enfin mettre en demeure la personne publique d’établir le décompte de résiliation (CE 3 octobre 2012, Société VALTERA, Req. n°349281). La procédure à suivre est ensuite celle prévue par le CCAG de référence.

En cas de résiliation d’un marché et de notification d’un décompte de résiliation, une collectivité peut émettre un titre pour recouvrer les sommes visées par le décompte. Dans ce cas, la société dont le marché est résilié à tout intérêt à contester le titre exécutoire devant le juge administratif mais également le décompte de résiliation. En effet, en l’absence de contestation du décompte de résiliation, la société ne sera plus recevable à contester les sommes visées par le titre de recette dès lors que le décompte de résiliation sur la base duquel il a été émis est devenu définitif entre-temps.

Il convient donc de rester très vigilant dans cette hypothèse.

Conseil d’État
N° 389516
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Frédéric Dieu, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP BOULLOCHE, avocat(s)
lecture du mercredi 25 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société d’architecture Duval Raynal a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler l’ordre de recette d’un montant de 161 460 euros émis le 30 juillet 2009 par la commune de Géménos (Bouches-du-Rhône) à son encontre. Par un jugement n° 0905562 du 2 juillet 2013, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 13MA03775 du 16 février 2015, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par la commune de Géménos contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 16 avril et 15 juin 2015 et le 29 avril 2016, la commune de Géménos demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société d’architecture Duval Raynal une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Géménos et à la SCP Boulloche, avocat de la société d’architecture Duval Raynal ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un marché conclu le 14 novembre 2002, la commune de Géménos a confié la maîtrise d’oeuvre d’un complexe aquatique devant être édifié sur son territoire à un groupement solidaire dont le mandataire était la société d’architecture Duval Raynal ; que, le 17 mars 2006, la commune a adressé à la société Duval Raynal une mise en demeure de procéder à la vérification des projets de décompte ; que, la société n’ayant déféré ni à cette mise en demeure, ni à une seconde mise en demeure en date du 28 avril 2006, la commune a, par décision du 9 mai 2006, décidé la résiliation du marché aux torts exclusifs de la société ; que, par courrier du 27 mars 2008, la commune a notifié à la société Duval Raynal un projet de décompte de résiliation faisant ressortir un solde créditeur de 161 460 euros toutes taxes comprises au bénéfice de la commune ; que le 30 juillet 2009, la commune de Géménos a émis un ordre de recette du même montant à l’encontre de la société Duval Raynal ; que, par un jugement du 2 juillet 2013, le tribunal administratif de Marseille a annulé ce titre au motif qu’il était insuffisamment motivé ; que la commune de Géménos se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 16 février 2015 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel qu’elle a formé contre ce jugement ;

2. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que pour confirmer l’annulation du titre de recette en litige prononcée par le tribunal administratif, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que la résiliation du marché par la commune, le 9 mai 2006, était intervenue dans des conditions irrégulières ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier soumis au juge du fond, ainsi que le faisait valoir la commune, que le décompte de résiliation était devenu définitif et que le juge du contrat n’avait pas été saisi aux fins de faire constater l’irrégularité de cette résiliation, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit et insuffisamment motivé son arrêt ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, la commune de Géménos est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ;

3. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

4. Considérant, en premier lieu, que la circonstance que, le 19 septembre 2013, la commune de Géménos a, après l’annulation du titre exécutoire du 30 juillet 2009 par le tribunal administratif de Marseille, émis un nouvel ordre de recette pour le recouvrement de la même somme, contre lequel la société Raynal Duval a d’ailleurs formé opposition par demande enregistrée sous le n° 1400068 au greffe du même tribunal, n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité de l’appel de la commune de Géménos dirigé contre le jugement du 2 juillet 2013 ;

5. Considérant, en second lieu, qu’une collectivité territoriale ne peut mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par une référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels elle se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge de ce débiteur ;

6. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le titre exécutoire émis le 30 juillet 2009 par la commune de Géménos comporte dans la rubrique “ descriptif “ la mention “ DGD marché maîtrise d’oeuvre centre aquatique “ ; qu’est annexé à ce titre un projet de décompte général pour ce marché, dont le montant total correspond à celui du titre en litige ; que ce document daté du 25 mars 2008 a été notifié à la société par un courrier du 27 mars 2008 reçu le 7 avril suivant ; qu’ainsi, le titre de perception contesté est suffisamment motivé ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille s’est fondé sur l’insuffisante motivation de ce titre de recette pour en prononcer l’annulation ;

8. Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société Raynal Duval devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Marseille ; que l’ensemble de ces moyens mettent en cause la régularité de la procédure de résiliation du contrat ainsi que le bien fondé de la créance litigieuse ; que toutefois, ainsi qu’il a été dit au point 2, le décompte étant devenu définitif et présentant de ce fait un caractère intangible, la société Raynal Duval ne saurait utilement soulever de tels moyens

9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Géménos est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 2 juillet 2013, le tribunal administratif de Marseille a annulé l’ordre de recette qu’elle a émis le 30 juillet 2009 ;

10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société d’architecture Duval Raynal une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure suivie devant le Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Marseille et le tribunal administratif de Marseille ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Géménos qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :


Article 1er : L’arrêt du 16 février 2015 de la cour administrative d’appel de Marseille et le jugement du 2 juillet 2013 du tribunal administratif de Marseille sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la société d’architecture Duval Raynal devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : La société d’architecture Duval Raynal versera à la commune de Géménos une somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Géménos et à la société d’architecture Duval Raynal.