Quoi de neuf en matière de rupture de relations commerciales établies

Les dispositions de l’article L 442-6 I 5° du Code de Commerce sont issues de la loi du 1er juillet 1996 dite loi Galland, laquelle a instauré le délit de « rupture brutale de relations commerciales établies ». Ce texte a aujourd’hui 21 ans et a été largement appliqué par les juridictions saisies.

L’année 2017 marque pourtant un net recul de l’application de ce texte tant par la Cour d’appel de Paris que par la Cour de Cassation : nous ne citerons ici que les décisions qui nous semblent les plus représentatives de ce recul.

1) Sur la compétence des juridictions spécialisées.

Il est acquis en application de l’article D 442-3 du Code de Commerce que, pour l’application de l’article L 442-6, les seules juridictions commerciales compétentes sont celles visées au tableau de l’annexe 4-2-1 du Livre IV du Code de Commerce. La Cour d’Appel de Paris étant la seule Cour d’Appel compétente pour statuer sur ces dispositions.
Mais qu’en est-il lorsqu’une partie, qui a saisi en première instance une juridiction non spécialisée, prétend saisir une autre Cour que celle de Paris, bien que les dispositions de l’article L 442-6 5° du Code de Commerce soient invoquées, aux côtés d’autres dispositions de droit commun ? 

Jusqu’en 2017, si l’une des parties saisissait une autre Cour que celle de Paris, elle se trouvait sanctionnée par l’irrecevabilité de son appel. Les choses ont changé en 2017 : par plusieurs arrêts marquant un revirement de sa jurisprudence, la Cour de Cassation en date du 29 mars 2017 (en particulier n° 15-17.659 et 15-24.241) a admis que l’appel reste néanmoins recevable et qu’il appartient à la Cour saisie de « faire le tri ». Concrètement, la Cour saisie connaîtra des demandes qui ne relèvent pas du texte spécial. La même Cour devra néanmoins renvoyer l’affaire à la Cour d’appel de Paris pour l’application des dispositions de l’article L 442-6 5° du Code de Commerce. Il s’agit là d’un premier infléchissement de la jurisprudence s’agissant de la compétence exclusive des juridictions spécialisées pour statuer sur les dispositions de l’article L 442-6 5° du Code de Commerce.

2) Sur le champ d’application de l’article L 442-6 5° du Code de Commerce.

S’il est acquis que ce texte s’applique à toutes relations commerciales si tant est que ses conditions soient réunies, deux points au moins demeuraient en suspens, à savoir : 
• Ces dispositions sont-elles applicables aux relations entre un associé et une coopérative ?
• De la même manière, sont-elles applicables à la relation de crédit consentie par un établissement financier (par hypothèse à un professionnel) ?

Par trois arrêts en date des 08 février 2017 (n° 15-23.050) et 18 octobre 2017 (n° 15-19.531) pour les relations entre un associé et une coopérative, 25 octobre 2017 (n° 16-16.839) pour la relation de crédit consentie par un établissement financier, la Haute Cour vient répondre clairement par la négative. Il est donc clair aujourd’hui que pour la Cour de Cassation, les liens entre une société coopérative et son associé échappent à l’application de l’article L 442-6 I 5° du Code de Commerce et qu’il en est de même de la relation de crédit par un établissement financier, toute relation relevant d’un régime autonome.

3) Sur la relation « établie » : appréciation plus stricte.

Alors qu’il semblait acquis que tous les contrats à durée déterminée pouvaient tomber sous le coup de l’article L 442-6 5° du Code de Commerce, la Cour d’Appel de PARIS, par un arrêt du 05 juillet 2017 (n° 17/08074), a considéré que le caractère précaire d’un contrat à durée déterminée excluait l’existence d’une relation établie entre les parties et, partant, excluait l’application de ces dispositions. Pour être précis quant-à cette affaire, les parties avaient conclu un contrat à durée déterminée d’une durée de 5 ans renouvelable par tacite reconduction pour des périodes calendaires d’une année dans la limite de 5 renouvellements mais aucun renouvellement n’avait eu lieu dans les faits. Cette jurisprudence semble donc, pour l’heure, limitée à l’existence d’un seul contrat à durée déterminée, non renouvelé.

Il est à noter que déjà par un arrêt du 21 juin 2017 (n° 16-15.365), la Cour de Cassation avait décidé qu’une partie ne saurait invoquer une brusque rupture dans le cadre d’un contrat à durée déterminée et ce, en raison « du caractère précaire de son contrat ».

Plus clairement encore, en matière d’appels d’offres, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation le 18 octobre 2017 (n° 16-15.138) vient admettre qu’en cas de recours à des appels d’offre, la relation commerciale ne peut être considérée comme établie, c’est-à-dire stable et régulière, écartant donc l’application des dispositions de l’article L 442-6 5° du Code de Commerce. Rappelons que, jusqu’ici, la Cour de Cassation se contentait de considérer que le recours à un appel d’offre constituait le point de départ du préavis, de sorte que, si le préavis était insuffisant, le texte avait vocation à s’appliquer.

Il s’agit donc d’un infléchissement notable de la notion de relation établie.

4) Sur le préjudice : de la marge brute à la marge sur coûts variables.

Depuis plusieurs années, il était acquis que le seul préjudice réparable était la marge brute perdue par la victime.

La difficulté tenait ici à ce que la notion de marge brute stricto sensu ne répondait pas à la logique économique selon laquelle, en cas de rupture de la relation, qu’elle soit partielle ou totale, la victime ne supporte plus un certain nombre de coûts variables liés à cette relation.

En 2016 encore, la Cour d’Appel de Paris, était partagée.

Toutefois en 2017, par de nombreux arrêts rendus en matière de rupture brutale de relations commerciales portant essentiellement sur des prestations de services, la Cour d’Appel de PARIS est venue considérer que seule la perte de marge sur coûts variables ou marge brute, déduction faite des charges variables, peut être réclamée par la victime de la rupture brutale [1].
La jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris en ce début 2018 confirme cette tendance, étant rappelé que la chambre 4 pôle 5 est la chambre spécialisée en matière de concurrence [2].

Caroline Demeyère,
Avocat Associé.

Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°63.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1En ce sens notamment : CA Paris Pôle 5 – Chambre 4 28 juin 2017 n° 14/26044, CA Paris Pôle 5 Chambre 4 27 septembre 2017 n° 15/02824 et CA PARIS Pôle 5 Chambre 10 03 juillet 2017 n° 15/17981.

[2En ce sens notamment : CA Paris Pôle 5 chambre 4 17 janvier 2018 (n° 15/17101).