Rupture abusive des pourparlers en droit français et en droit anglosaxon.

Dans la phase pré-contractuelle les parties sont libres de mettre fin aux pourparlers, cependant il ne faut pas que la rupture des pourparlers dégénère en abus. Le droit Anglo-Saxon reconnait, comme le droit français, la liberté de rompre les pourparlers par contre en droit Anglo-Saxon il n’existe pas le principe de la « rupture abusive des pourparlers ».

La négociation des contrats démarre avec la phase précontractuelle ainsi dite « phase des pourparlers » et se termine normalement, mais pas nécessairement, avec la phase du « signing » ou « closing » de l’opération. La phase précontractuelle est une étape indispensable, mais très délicate, du processus de conclusion d’un contrat car plusieurs risques existent pour les parties parmi les risques les plus importants on compte la rupture abusive des pourparlers.

Le fait d’initier des pourparlers ne garantit pas que les parties parviendront à la conclusion d’un accord conformément au principe de la liberté contractuelle [1] et à la définition même du contrat [2] qui est un accord de volonté des parties, autrement dit, il repose sur un échange des consentements entre les parties.

Les parties sont donc libres de mettre fin aux pourparlers. En revanche, il ne faut pas que ladite rupture dégénère en abus. Le risque est que l’auteur de la rupture voit sa responsabilité délictuelle [3] engagée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, qui dispose que : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La rupture est dite « abusive » lorsque l’obligation de bonne foi n’est pas respectée [4] et lorsqu’un abus est caractérisé. Les juges, pour caractériser cet abus, tiennent compte de différents éléments :
- La brutalité de la rupture (moyens utilisés pour la communication) ;
- L’attente légitime de l’autre partie en la conclusion du contrat ;
- La durée et l’état d’avancement des pourparlers (plus les pourparlers sont avancés plus la liberté des parties de ne pas conclure diminue) ;
- La complexité des négociations et les frais engagés pour négocier ;
- L’absence de motifs légitimes.

1. Focus sur le droit français :
En cas de rupture abusive des pourparlers la réparation du préjudice ne pourra donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts au titre du « préjudice d’investissement » c’est-à-dire les frais engagés pour l’opération (frais de négociations/annulation du contrat). Le préjudice réparable consiste donc en la perte effectivement subie par la victime, qui prendrait la forme des frais engagés au cours des négociations, voire des frais d’annulation du contrat. La perte de chance (soit le manque à gagner) est donc expressément exclue des préjudices réparables en cas de rupture abusive des pourparlers [5].

2. Focus sur le droit Anglo-Saxon :
Le droit Anglo-Saxon reconnaît, comme le droit français, la liberté de rompre les pourparlers. Cependant, le droit Anglo-Saxon n’a pas consacré le principe de la « rupture abusive des pourparlers ».

En effet, en droit Anglo-Saxon la rupture abusive est envisagée seulement au stade contractuel et non au stade précontractuel. Néanmoins, le droit Anglo-saxon connaît des outils qui facilitent la gestion de la phase pré contractuelle et anticipent les risques liés à la comptabilisation des frais engagées, à savoir :
- «  Pass-through-costs  » : il s’agit d’un outil pratique qui évite les difficultés qui pourraient être liées à la rupture abusive et qui consiste en la contractualisation lors de la négociation de l’ensemble des frais, coûts et dépenses qui seront engagés du fait de la négociation (par ex. les frais de conseil). Ces éléments financiers comptabilisés, seront automatiquement remboursés en cas d’échec des négociations et donc de l’opération. Cet outil, facilite la fin des négociations dès lors que les parties auront arrêtés le sort des frais engagés par leurs soins et le droit ou non au remboursement de ces derniers ;
- «  Breeking fees  » est un autre outil qui consiste à définir en amont un montant qui sera payé par chaque partie pour pouvoir sortir des négociations. Il s’agit d’une indemnité contractuelle due par la partie engagée dans la transaction et qui souhaite mettre un terme aux négociations préalablement à la mise en œuvre de l’opération.

En effet lorsque la négociation est arrivée à un stade très avancé il ne sera plus possible de se désengager « sic et simpliciter » mais il faudra payer un certain montant prédéterminé, entre les parties, pour indemniser la ou les parties qui restent, au regard des éventuels préjudices causés par cette rupture.

Au regard de ce qui précède, afin de remédier à certaines difficultés rencontrées lors des négociations, il est fort à parier que les usages français, dans un premier temps, puis le droit français, dans un second, s’inspireront de ces outils anglo-saxon, pour faciliter et sécuriser le sort d’une partie qui souhaite mettre un terme aux négociations.

Teresa Inverso, Legal counsel.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Article 1112 du Code civil « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ».

[2Article 1101 du Code civil.

[3Cass. com. 11 juill. 2000 ; Cass. com. 18 sept. 2012.

[4Article 1104 du Code civil « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » ; Cass. com. 20 mars 1972 ; Cass. com. 18 juin 2002.

[5Article 1112, alinéa 2 : « en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages ».