"Prepack cession", le difficile équilibre entre confidentialité, transparence et concurrence.
Depuis la loi du 25 janvier 1985, les nombreuses réformes qui se sont succédé ont remis en cause les marqueurs traditionnels du droit des entreprises en difficulté et ont marqué une évolution en faveur de l’anticipation, de la négociation et de l’accélération des procédures.
Dans cette dynamique, l’ordonnance du 12 mars 2014 a consacré une solution issue de la pratique consistant à « prepacker », c’est-à-dire à préparer en amont du jugement d’ouverture la solution qui sera soumise au tribunal, une fois la procédure collective ouverte.
Cette préparation permet dans nombre de cas de limiter la durée de la procédure, de préserver la consistance de l’entreprise et d’autoriser, dans les meilleures conditions possibles, la présentation d’un plan de sauvegarde ou de redressement, ou d’un plan de cession.
Il faut en effet rappeler que la publicité qui entoure l’ouverture d’une procédure collective et les délais nécessaires à la présentation d’un plan affectent habituellement de manière fortement négative l’image et le crédit de l’entreprise, entraînant dégradation de l’exploitation et fatalement perte de valeur.
Aux fins de favoriser la reprise d’entreprises en difficulté, par une accélération du processus de cession au cours de la procédure collective, l’ordonnance de 2014 a prévu une technique hybride associant procédures préventives (dites amiables) et procédures collectives, dénommée par les praticiens « prepack cession ».
Ce dispositif permet de préparer la cession d’une entreprise dans un contexte confidentiel (Mandat ad hoc ou Conciliation) pour pouvoir ensuite la mettre en œuvre rapidement dans le cadre d’une procédure collective, avec les avantages que présente pour un cessionnaire une « reprise à la barre ».
Le « prepack cession » a suscité lors de sa création sans doute autant d’enthousiasme que d’interrogations. La pratique, a, à l’évidence, limité les ardeurs de ceux qui avaient pu entrevoir dans ce dispositif un moyen d’organiser la cession d’une entreprise en dehors de la transparence exigée en matière de procédure collective.
La pratique a démontré l’efficacité de cette procédure [1], mais a également mis en évidence que la confidentialité n’était souvent que relative, voire illusoire et que le bénéfice d’un prepack cession reste conditionné à une appréciation in concreto du tribunal saisi de la demande d’ouverture de la procédure collective.
La recherche de l’équilibre entre obligation de justifier d’une publicité suffisante en faveur de la recherche de repreneurs en amont de la procédure et la confidentialité indispensable à la préservation des intérêts de l’entreprise s’avère un exercice particulièrement difficile, qui conditionne pourtant le bénéfice d’un prepack cession.
Le régime général du plan de cession.
Les dispositions des articles L.642-1 et suivants du Code de commerce régissent les conditions juridiques de la cession d’entreprise en procédure de sauvegarde (cession partielle), redressement ou liquidation judiciaire.
En pratique, lorsque le tribunal estime que la cession totale ou partielle de l’entreprise est envisageable, il autorise la poursuite de l’activité et il fixe le délai dans lequel les offres de reprise doivent parvenir au liquidateur ou à l’administrateur lorsqu’il en a été désigné [2].
A la faveur des réformes successives, le législateur a encadré les conditions dans lesquelles un plan de cession doit être préparé puis soumis à l’appréciation du tribunal. Ces conditions visent à rechercher le plus largement possible des candidats repreneurs, sans exclusive. A cette fin, l’Administrateur judiciaire désigné sera tenu de lancer un appel d’offres. Les textes [3] lui imposent des diligences minimales : dépôt d’une information au greffe du tribunal, annonce dans la presse et sur le site du Conseil National des Administrateurs et Mandataires Judiciaires.
Cette procédure d’appel d’offres est destinée à assurer la transparence des opérations, ainsi qu’une mise en concurrence des repreneurs potentiels.
La cession « prepackée ».
Préparation de la cession dans le cadre de procédures amiables.
Les dispositions des articles L.611-3 et suivants du Code de commerce régissent les procédures amiables auxquelles peut recourir le dirigeant d’une entreprise pour rechercher des solutions aux difficultés qu’elle rencontre et ainsi éviter l’ouverture d’une procédure collective.
En pratique, sur requête de l’entreprise, le président du tribunal pourra désigner soit un Conciliateur dont la mission est précisée par les textes [4] soit un Mandataire ad hoc dont la mission sera librement définie par le président en fonction de l’identification des difficultés et de la demande de l’entreprise.
La confidentialité.
L’obligation de confidentialité des négociations dans le cadre de ces procédures est expressément prévue par l’article L.611-15 du Code de commerce qui prévoit que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité.
Cette obligation a récemment été rappelée par la Cour de cassation, qui a toutefois retenu qu’il pouvait y être dérogé en cas de nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général [5].
En outre, l’obligation de confidentialité est essentiellement destinée à protéger les intérêts de l’entreprise en difficulté. Dès lors, il a été admis que l’entreprise peut renoncer à s’en prévaloir et donc la lever. Toutefois, si cette renonciation peut se concevoir à l’égard de l’information relative à l’existence même d’une conciliation ou d’un mandat ad hoc, elle ne paraît pas pouvoir être étendue au contenu des négociations.
Conditions et mécanisme du « prepack cession ».
Le mécanisme du « prepack cession » découle principalement de l’articulation des dispositions des articles L.611-7, L.642-2 alinéa 2 et R.642-40 alinéa 4 du Code de commerce dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2014 et de son décret d’application.
Ainsi, le Conciliateur peut se voir confier une mission ayant pour objet l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
Si les offres reçues ou formulées dans le cadre des démarches effectuées par le Mandataire ad hoc ou le Conciliateur remplissent les conditions de forme et de fond exigées en matière d’offre de reprise en plan de cession, et que ces offres sont satisfaisantes, le tribunal peut décider de ne pas fixer de date limite de dépôt des offres et fixer immédiatement la date de l’audience d’examen des propositions de reprise [6]. Le tribunal ne pourra toutefois décider d’une dispense d’appel d’offres qu’après avoir recueilli l’avis du ministère public et s’être assuré que, compte tenu de la nature de l’activité en cause, les démarches effectuées par le Mandataire ad hoc ou le Conciliateur ont assuré une publicité suffisante de la préparation de la cession.
Il est donc désormais possible de préparer dans le cadre de négociations confidentielles une ou plusieurs propositions de reprise de l’entreprise que le tribunal pourra examiner, au cours d’une procédure collective ouverte ultérieurement, dans des délais très brefs en raison de la dispense d’appel d’offres.
De la pratique il ressort qu’une fois la procédure collective ouverte, la cession pourra être ordonnée par le tribunal sous un délai de 3 à 5 semaines.
Cette procédure accélérée, dérogatoire ne peut néanmoins être décidée par le tribunal qu’après qu’il aura vérifié que sont réunies les conditions suivantes :
l’existence d’une publicité suffisante de la préparation de la cession effectuée par la Mandataire ad hoc ou le Conciliateur, au regard de la nature de l’activité de l’entreprise,
la remise d’offres au cours de la procédure amiable répondant aux exigences de formes et de fond exigées en matière de plans de cession,
l’existence d’offres satisfaisantes.
On perçoit immédiatement toute la difficulté pratique de conjuguer l’obligation de confidentialité indispensable au bon déroulement des discussions avec un (ou plusieurs) acquéreur(s) dans le cadre de la procédure amiable, avec l’obligation d’une publicité suffisante qui conditionnera la possibilité de bénéficier ensuite d’un processus de cession accéléré.
Les textes, contrairement au schéma classique de cession en redressement ou en liquidation judiciaire, sont totalement muets quant aux mesures de publicité suffisantes devant être réalisées dans le cadre de la préparation d’une offre en phase amiable.
Le rôle du Mandataire ad hoc ou de Conciliateur, dont la mission sera d’organiser une cession partielle ou totale de l’entreprise [7] sera donc essentiel tant pour apprécier, au cas par cas, la nature et l’étendue des démarches et de la publicité devant être réalisées pour susciter des offres, que pour assurer une information à l’égard de la juridiction en charge de l’affaire (Président du tribunal dans le cadre de la procédure préventive et tribunal dans la cadre de la procédure collective).
En pratique, des contacts sont pris directement avec des candidats acquéreurs par le Mandataire ad hoc ou le Conciliateur sur la base des informations qui lui sont remises par le dirigeant de l’entreprise. Néanmoins, ces mesures s’avèrent souvent insuffisantes et peuvent être complétées par des contacts avec des praticiens (avocats, experts comptables…) susceptibles de détenir parmi leurs clients des candidats potentiels.
Une autre pratique s’est développée, difficilement imaginable lors de l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2014 tant elle paraît incompatible avec le principe de confidentialité, consistant à publier une annonce dans la presse (au niveau national notamment) précisant les caractéristiques essentielles de l’entreprise, mais en s’abstenant de préciser son nom et la nature de la procédure en cours…
Dès lors qu’une telle annonce est nécessaire, il est légitimement permis de s’interroger sur la pertinence de la procédure de prepack, au-delà des risques d’anéantissement de toute confidentialité, gage de succès de la procédure.
En réalité, le contrôle par le tribunal des mesures de publicité effectuées en amont de la procédure collective vise principalement à vérifier :
une mise en concurrence suffisante de candidats repreneurs,
l’absence de collusion frauduleuse.
Aussi, dès lors que les offres déposées au cours de la phase amiable apparaissent satisfaisantes [8] et que le Mandataire ad hoc ou le Conciliateur aura pu vérifier le sérieux et la qualité, notamment de tiers, du ou des candidat(s) repreneur(s) le processus accéléré de cession au cours de la procédure collective devrait pouvoir s’imposer.
Telle n’est pas la situation actuelle.
De surcroît, encore faut-il souligner que même si les conditions rappelées ci-avant étaient remplies, la dispense d’appel d’offres et de fixation d’une date limite de dépôt des projets de reprise ne demeure qu’une faculté pour le tribunal.
Dès lors que l’appréciation du tribunal n’interviendra qu’a posteriori, un aléa certain subsistera pour les parties ayant négocié lors de la procédure amiable de pouvoir réellement bénéficier ensuite d’un processus de cession accéléré dans le cadre de la procédure collective.
Un aléa supplémentaire quant à l’issue des opérations résulte également de l’absence d’exclusivité dont bénéficient les auteurs des offres déposées dans le cadre de la procédure amiable.
L’absence d’exclusivité.
Si d’aucuns avaient imaginé que les négociations, dès lors qu’elles étaient amiables au cours de la procédure de conciliation ou du mandat ad hoc, devaient permettre de privilégier un repreneur et de lui assurer une forme d’exclusivité, tel n’est assurément pas la logique du prepack cession, ni la position adoptée par les tribunaux.
Il convient notamment de rappeler que la préparation d’une cession en amont d’un redressement judiciaire ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de l’article L.631-13 qui autorisent les tiers, dès l’ouverture de la procédure, à soumettre à l’Administrateur des offres tendant au maintien de l’activité de l’entreprise, par une cession totale ou partielle.
De plus, dans l’hypothèse d’un prepack cession, lorsque le tribunal a décidé de ne pas procéder à un appel d’offres, d’autres propositions de reprise pourront parvenir au liquidateur ou à l’administrateur au plus tard huit jours avant la date fixée pour l’examen des offres [9].
Ainsi, quand bien même le tribunal aurait décidé de mettre en œuvre un processus de cession accéléré, le dépôt d’offres concurrentes reste toujours possible et pourrait sans nul doute perturber le schéma envisagé avant l’ouverture de la procédure.
Depuis 2014, bien que n’ayant pas suscité en pratique un engouement manifeste, la procédure de prepack cession a eu l’occasion de faire ses preuves dans plusieurs affaires et mérite assurément de se développer de manière plus significative compte tenu des avantages indéniables qu’elle présente pour la sauvegarde de l’entreprise.
Toutefois, les candidats acquéreurs, auteurs d’offres de reprise remises à l’issue de négociations menées en phase amiable ne doivent pas ignorer que l’accélération du processus de cession dans le cadre de la procédure collective n’est qu’une faculté laissée à l’appréciation du tribunal et qu’en tout état de cause aucune exclusivité ne leur sera réservée.
Manuel Wingert, Avocat of Counsel
et Philippe Dumez, Avocat Associé – DELSOL Avocats
Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°54.