De nombreux contentieux en contestation de créances naissent devant le Juge Commissaire et des arguments tenant à la forme de la déclaration de créance y sont souvent soulevés.
Or, nonobstant le fait que la déclaration de créance soit équivalente à une demande en justice, les dispositions du code de commerce relatives au formalisme de la déclaration de créance sont assez succinctes : elle doit être « adressée » au mandataire judiciaire par le créancier, son préposé ou son mandataire et indiquer le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture, en précisant les dates d’échéances pour les créances à échoir, la nature des éventuelles garanties ainsi que les modalités de calcul des intérêts (art.L622-24 et L622-25 al.1 C de commerce.).
Accompagnée des documents justificatifs, elle doit être certifiée sincère si la créance ne résulte pas d’un titre exécutoire (art.L 622-25 al.2 et R622-23).
En pratique, un courrier récapitulant le montant de la créance, ses caractéristiques et accompagné des pièces justificatives est adressé en LRAR au mandataire judiciaire par le créancier ou son représentant et c’est au Juge Commissaire qu’il appartient, en cas de contestation, d’apprécier souverainement si l’écrit envoyé au mandataire judiciaire est compréhensible et exprime de façon non équivoque la volonté du créancier de réclamer dans la procédure collective le paiement de sa créance.
L’analyse de la jurisprudence récente apporte des précisions utiles quant à la langue à utiliser (1), le pouvoir du signataire (2) et l’intention de déclarer (3).
1. La langue de la déclaration de créance :
Par un arrêt du 13 mai 2015, la Cour d’appel de Lyon a donné satisfaction à un créancier néerlandais qui avait déclaré sa créance par un courrier rédigé en anglais (CA Lyon, 3e ch. A, 13 mai 2015 n°14/01789).
Selon une jurisprudence constante, toute déclaration de créance doit être rédigée en français.
Cependant, le Règlement communautaire nº 1346/2000 du 29 mai 2000, autorise les créanciers établis dans un autre Etat membre à déclarer leur créance dans la langue officielle de cet Etat, à condition que le document adressé au représentant des créanciers comporte le titre « Production de créance » inscrit dans la langue officielle de l’Etat d’ouverture de la procédure.
En l’espèce, le courrier en anglais adressé au mandataire judiciaire faisait état de factures impayées, indiquait que ces créances étaient échues et précisait leur montant total, sans pour autant mentionner le titre « production de créance » et était signé par le chef comptable.
Après contestation par le mandataire judiciaire de cette déclaration de créance, la société néerlandaise lui a adressé un nouveau courrier, rédigé en langue française, portant la mention « production de créance » et dans lequel elle indiquait confirmer sa déclaration initiale.
Le débat a alors été porté devant le Juge Commissaire qui a rejeté la créance au motif que sa déclaration ne respectait pas le formalisme prévu par le Règlement communautaire ; c’est cette décision qui est sanctionnée par la Cour d’appel de Lyon.
Tout en rappelant que la déclaration de créance doit en principe être rédigée en langue française, la Cour considère que toute irrégularité tenant à la langue employée peut être couverte jusqu’au moment où le juge statue. Elle confirme ainsi la position qu’elle avait adoptée, avant la publication du Règlement (CA Lyon 7 septembre 2001, Sté Forez Emballages c/ Sté Cartiera Grillo).
Ainsi, le créancier se voit-il offrir la possibilité de déclarer dans sa langue, à condition cependant en cas de contestation, de produire une traduction libre dans la langue de l’Etat de la procédure collective.
Cette bienveillance du juge à l’égard du créancier rejoint l’esprit du législateur français qui poursuit un but de simplification, notamment depuis le 1er octobre 2015, en autorisant que divers actes liés à une procédure collective, dont les déclarations de créance, soient effectués en ligne sur un portail mis en place par le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (Décret 2015-1009 du 18 août 2015 ; arrêté du Ministre de la Justice du 17 septembre 2015 JUSC1521352A, art.814-2 du Code de commerce).
En pratique, la déclaration papier par voie LRAR reste jusqu’à ce jour fortement usitée.
2. Le pouvoir du signataire :
L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon reprend par ailleurs une solution classique selon laquelle la déclaration de créance faite par une personne morale, si elle n’émane pas des organes habilités par la loi à la représenter, peut être effectuée par tout titulaire d’une délégation de pouvoir lui permettant d’accomplir un tel acte (Cass. Com., 15 décembre 2009, n°08-14.949).
Et une attestation, fut-elle postérieure à l’expiration du délai de déclaration de créance, certifiant que le préposé déclarant bénéficiait, à la date de la déclaration, d’une délégation de pouvoir à cette fin, permet d’établir que la déclaration de créance est conforme au pouvoir de représentation donné par la société.
Ainsi, la preuve de l’existence de la délégation de pouvoir peut être faite jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission des créances, par la production de documents établissant la délégation, ayant acquis ou non date certaine (CA Aix-en-Provence, 8ème ch., 4 février 2016, n° 13/20903).
Cette preuve peut valablement être faite devant le juge d’appel (CA Grenoble, ch. Com., 27 octobre 2016, n° 15/02801).
De même, un préposé titulaire d’une délégation de pouvoir lui permettant de faire une déclaration de créance peut à son tour la déléguer, à condition d’avoir reçu une telle faculté de délégation. Une déclaration de créance est donc valable si elle a été faite dans le cadre d’une chaîne de délégations régulière (CA Montpellier, 2ème ch., 15 mars 2016, n° 14/03995 ; CA Lyon 3ème ch. A, 12 mai 2016, n° 15/02594 et CA Toulouse, 2ème ch., 23 mars 2016, 13/06041).
Toutefois, s’il peut être justifié postérieurement à la déclaration de la créance de la préexistence au moment de la déclaration de la délégation du pouvoir du déclarant, une déclaration irrégulière faute d’habilitation de celui-ci est insusceptible de ratification (CA Aix-en-Provence, 8ème ch., 31 mars 2016, n° 14/07065 et CA Pau, 2ème ch. 30 juin 2016, n° 14/03578).
Les juges retiennent également que le débiteur ne peut contester la régularité de la déclaration de créance, pour défaut de pouvoir de son auteur, en raison de l’irrégularité de la désignation de ce représentant eu égard aux règles visés dans les statuts (Cass. Com., 26 janvier 2016, n° 14-18.615).
En matière d’assurance et notamment dans le cas où plusieurs sociétés sont intervenues en qualité de cotisante, la déclaration de créance régularisée par une compagnie d’assurance, dans le cadre de la procédure collective d’une société de courtage, doit nécessairement préciser le montant déclaré en son nom et celui déclaré pour un tiers, en justifiant de son pouvoir (CA Colmar, 1ère ch. A, 16 novembre 2016, n° 15/00691).
Le représentant légal doit en conséquence être vigilant sur la chaine de délégation de pouvoirs mise en place.
3. L’intention de déclarer :
Il reste que pour être valable, la déclaration de créances doit contenir explicitement, non seulement une demande tendant à la prise en compte des droits du créancier dans la procédure collective mais aussi une déclaration claire et non équivoque de la part de celui-ci.
Aussi, les courriers adressés à un expert judiciaire au cours d’une expertise ou les écrits contenus dans des conclusions faisant état d’une créance mais ne contenant aucune demande ne peuvent s’analyser en une déclaration de créance (CA Paris, 11 octobre 2016, n° 15/19340).
La déclaration de créance doit donc demeurer intelligible en traduisant de façon non équivoque, la volonté du créancier de se prévaloir d’une créance déterminée et de sa volonté de participer à la distribution du prix.
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Ces précisions de la jurisprudence sur la recevabilité de la déclaration de créance, en dépit de l’absence théorique de formalisme, invitent à la prudence le créancier souhaitant faire valoir ses droits dans la procédure collective de son débiteur.
Hayette Khellas,
Avocat à la cour,
Département règlement des contentieux
FIDAL
Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°54.