CEDH, 8 février 2018, Goetschy C. France, req n°63323/12
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a sanctionné la France pour dépassement du « délai raisonnable » après avoir détaillé l’ensemble des diligences réalisées par les juges successifs à l’occasion d’une instruction de plus de 7 ans.
Le 3 novembre 1998, le juge d’instruction de Colmar était saisi de deux informations judiciaires, jointes après une ordonnance du 20 novembre 1998, pour des faits constitutifs de favoritisme et de faux et usage. Le 22 juin 1999, le requérant était placé en garde à vue avant d’être mis en examen, le lendemain, du chef de délit de favoritisme et placé sous contrôle judiciaire.
Une demande de clôture de l’information, formée par le requérant était rejetée le 13 novembre 2003 par le juge d’instruction puis par le président de la chambre de l’instruction le 5 janvier 2004.
Ce n’est que le 6 octobre 2006 que le juge d’instruction rendait une ordonnance de non-lieu.
Le 9 juillet 2007, le requérant assignait l’agent judiciaire du Trésor, dans le cadre d’une action en responsabilité de l’Etat sur le fondement notamment de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme. Il sollicitait devant le Tribunal de Grande Instance de Colmar la condamnation de l’Etat à lui payer la somme de 1 million d’euros à titre de dommages-intérêts alléguant des poursuites pénales abusives pendant plus de 7 ans ayant entrainé un préjudice moral d’une gravité exceptionnelle.
Le Tribunal de Grande Instance puis la Cour d’appel de Colmar rejetaient ses demandes les 11 juillet 2008 et 22 octobre 2010 considérant l’importance, la complexité et la spécificité des investigations nécessaires et excluant une inactivité fautive du juge ou des services d’enquête. Le requérant formait un pourvoi en cassation rejeté le 29 février 2012. Le 28 août 2012 le requérant saisissait la CEDH soutenant la violation de l’article 6§1 de la convention qui dispose que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…), qui décidera (…) du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Dans sa décision du 8 février 2018, la Cour a rappelé que « le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ». Elle a procédé, par la suite, à l’analyse de ces critères estimant :
que la procédure pénale comportait certaines difficultés liées à la complexité des infractions ;
qu’aucun élément n’était de nature à mettre en cause la responsabilité du requérant.
Concernant le troisième critère lié au comportement des autorités judiciaires, la Cour a détaillé l’ensemble des diligences réalisées lors de cette instruction. A ce titre, elle a observé une période d’inactivité totale d’un peu plus d’un an et demi entre le 12 décembre 2000 et le 27 juin 2007 et une période d’inactivité « particulièrement réduite » du 27 juin 2002 au 12 février 2004 durant laquelle des actes ont été réalisés mais dont l’exécution « ne saurait justifier un tel délai ». Elle a estimé au regard de ces éléments qu’il y a eu « dépassement du délai raisonnable dont l’article 6§1 exige le respect » et en a conclu à la violation dudit article. La Cour a alloué alors au requérant la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral, loin du million réclamé par ce dernier.
Dans cet arrêt, la Cour a effectué une analyse approfondie des diligences réalisées par le juge d’instruction et a sanctionné le défaut de suivi régulier de l’enquête par le magistrat instructeur, permettant ainsi au justiciable d’être indemnisé pour les périodes d’inactivités conséquentes du juge.
A rapprocher : CEDH 25 mars 1999, Pélissier et Sassi c/ France n°25444/94 §67
Par Virginie Rigal, avocate Contentieux civil et pénal du cabinet Simon Associés