En vertu de son pouvoir de direction, l’employeur a la faculté d’effectuer une surveillance de l’activité de ses salariés, au temps et au lieu de travail (Cass. Soc. 5 novembre 2014 pourvoi n°13-18.427 ; Cass. Soc. 26 avril 2006 pourvoi n°04-43.582). Pour autant, cette prérogative doit nécessairement être conciliée avec le respect des droits fondamentaux des salariés, et notamment avec le droit à la vie privée. La recherche d’un équilibre revêt une importance particulière lorsque la surveillance est mise en place par le biais de moyens techniques, tels que des caméras de surveillance.
Par Elodie Nesa, Élève-avocat.
L’employeur peut-il installer un système de vidéosurveillance au sein de son entreprise ?
L’article L. 1121-1 du Code du travail précise que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Selon cet article, toute restriction apportée aux droits et libertés des salariés doit être justifiée et proportionnée à la finalité poursuivie.
Dès lors que l’employeur respecte ce principe, il peut mettre en place un dispositif de surveillance par caméras dans les locaux de son entreprise.
Néanmoins, l’employeur devra prendre garde à maintenir un juste équilibre entre le respect des droits de ses salariés et l’atteinte qui y sera portée par l’intermédiaire de la vidéosurveillance.
Surtout, l’employeur doit être vigilant à ce que la vidéosurveillance ne cause pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée de ses salariés, garanti par l’article 9 du Code civil et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Une telle atteinte peut notamment résulter d’une surveillance excessive des salariés, qui serait constante, générale et permanente (Délib. CNIL, 2 avril 2020 n°2010-112).
En pratique, l’installation de caméras sur un lieu de travail se justifie par la nécessité d’assurer la sécurité des biens et des personnes, que ce soit à titre dissuasif ou pour identifier les auteurs de vols, dégradations ou agressions.
Quels endroits des locaux de l’entreprise peuvent être soumis à la vidéosurveillance ?
L’employeur qui a recours à la vidéosurveillance ne dispose pas de la liberté d’installer des caméras où il l’entend.
La vidéosurveillance doit se limiter à filmer les entrées et sorties des bâtiments, les issues de secours, les voies de circulation, ou encore les zones dans lesquelles sont entreposés marchandises ou biens de valeur.
En revanche, les caméras ne doivent pas uniquement filmer les employés sur leur lieu de travail, sauf dans certaines hypothèses particulières, par exemple si un employé manipule de l’argent ou travaille dans un entrepôt stockant des biens de valeur. En effet, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) estime que « le placement sous surveillance continue des postes de travail des salariés n’est possible que s’il est justifié par une situation particulière ou un risque particulier auxquels sont exposées les personnes objets de la surveillance » (Délib. CNIL, 17 juillet 2017 n°2014-307).
Afin de respecter la vie privée des salariés, l’employeur a l’interdiction de filmer les zones de pause, de repos, ou bien les toilettes des employés.
Enfin, les caméras ne doivent pas non plus filmer les locaux syndicaux ou les locaux des représentants du personnel, ni leur accès si celui-ci ne mène qu’à ces lieux.
A noter que si l’employeur souhaite mettre en place des caméras dans des locaux accueillant du public, il convient de se référer aux articles L.251-1 et suivants du Code de la Sécurité intérieure. L’employeur doit obtenir l’autorisation du Préfet, statuant sur avis de la Commission départementale de vidéoprotection. De plus, l’employeur doit informer par affichage, salariés, visiteurs ou clients de la présence de caméras, de l’existence d’un responsable du système, et la procédure à suivre pour demander l’accès aux enregistrements vidéo.
Quelles obligations incombent à l’employeur à l’égard de ses salariés ?
Selon l’article L. 1222-4 du Code du travail, « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
En vertu de cet article, il incombe à l’employeur d’informer ses salariés de l’existence ou de la mise en place d’un système de vidéosurveillance dans son entreprise.
Cette information peut être faite par tout moyen, oral comme écrit, individuel ou collectif. Néanmoins, un écrit est fortement recommandé (Circulaire DRT du 15 mars 1993, n°II-A-3 : BOMT n°93-10).
Par ailleurs, cette obligation d’information incombe également à l’employeur lorsque la vidéosurveillance a été installée par un tiers dans ses locaux, en l’occurrence sur le site d’une société cliente (Cass. Soc. 2 février 2011 pourvoi n°10-14.263 ; Cass. Soc. 10 janvier 2012 pourvoi n°10-23.482).
Si l’employeur ne fournit pas cette information à ses salariés, les enregistrements vidéo obtenus par le biais des caméras ne pourront pas être produits en justice, que ce soit pour appuyer une sanction disciplinaire ou un licenciement. Les images en question constitueront un mode de preuve illicite et déloyal, et devront être écartées des débats.
De ce fait, et en l’absence d’autres éléments de preuve, le licenciement basé sur les images d’une caméra de surveillance dont l’existence n’a pas été portée au préalable à la connaissance du salarié, sera requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A titre d’exemple, a été jugé illicite l’enregistrement obtenu par une caméra de surveillance dissimulée dans une caisse, à l’insu de la salariée. Le licenciement pour vol, fondé sur les images de la vidéosurveillance, est donc requalifié en licenciement sans cause réelle est sérieuse (Cass. Soc. 20 novembre 1991 pourvoi n°88-43.120).
Surtout, la jurisprudence considère comme mode de preuve illicite non seulement les images ainsi obtenues, mais aussi toutes les preuves qui découlent de l’exploitation de ces images.
En ce sens, la Cour de cassation n’a pas hésité à écarter des débats l’aveu d’une salariée pour vol, recueilli lors de son audition par les services de gendarmerie. En effet, la Cour a noté que la plainte pour vol n’avait été déposée par l’employeur que parce qu’il avait visionné les images d’une vidéosurveillance dont la salariée n’avait pas eu préalablement connaissance. L’impossibilité d’exploiter les images obtenues de manière illicite empêche également d’exploiter les éléments de preuve qui en découlent (Cass. Soc. 20 septembre 2018 pourvoi n°16.26-482).
Quelles obligations incombent à l’employeur à l’égard des représentants du personnel ?
Selon l’article L. 2312-38 du Code du travail, le Comité Social et Economique (CSE) est non seulement informé par l’employeur de sa volonté d’installer un système de vidéosurveillance dans son entreprise, mais est aussi consulté.
Si l’employeur ne procède pas à cette information et consultation au préalable, il ne peut utiliser les images issues de la vidéosurveillance pour sanctionner un salarié. Ce mode de preuve sera jugé irrecevable, y compris lorsque le salarié a été personnellement informé de la mise en place du système (Cass. Soc. 7 juin 2006 pourvoi n°04-43.866). L’information personnelle du salarié ne suffit donc pas à pallier la carence de l’employeur à ce sujet.
De plus, l’employeur qui ne se soumet pas à cette obligation de consultation s’expose à une condamnation pour délit d’entrave, prévu à l’article L.2317-1 du Code du travail.
Quelles sont les exceptions à cette obligation d’information de l’employeur ?
Les images obtenues sans information préalable des salariés sont utilisables dans le cadre d’un procès pénal, par exemple lorsqu’un salarié engage une procédure pour abus de confiance à l’encontre de son employeur (Cass. Crim. 6 avril 1994 pourvoi n°93-82.717).
De même, l’employeur est dispensé de cette obligation d’information préalable, que ce soit auprès des salariés ou du CSE, lorsque la vidéosurveillance ne filme que des lieux interdits aux salariés, ou du moins dans lesquels les salariés ne sont pas censés travailler, comme un entrepôt (Cass. Soc. 19 avril 2005 pourvoi n°02-46.295).
L’employeur est donc « libre de mettre en place des procédés de surveillance des entrepôts ou autres locaux de rangement dans lesquels les salariés ne travaillent pas » (Cass. Soc. 31 janvier 2001 pourvoi n°98-44.290).
Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de protection des données personnelles ?
En vertu de l’article 25 du Règlement Général de la Protection des Données (ou RGPD, Règlement UE n°2016/679, 27 avril 2016), l’employeur qui entend installer un dispositif de vidéosurveillance doit s’intéresser à la protection des données personnelles collectées par ledit dispositif. A ce titre, il doit :
Informer les salariés sur les données personnelles qu’il collecte, « d’une façon concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples » (article 12 du RGPD) ;
Intégrer le système de vidéosurveillance dans le registre des activités de traitement (article 30 du RGPD) ;
Réaliser une étude d’impact, notamment en prenant en compte les caractéristiques de la vidéosurveillance, les risques et les mesures adoptées (Délibération de la CNIL n°2018-326, 11 octobre 2018 JO 6 novembre).
A noter, que ces démarches peuvent être réalisées par l’employeur seul, ou avec l’assistance du salarié nommé en qualité de Délégué à la protection des données (article 39 du RGPD).
En cas de manquement à ces obligations, l’employeur s’expose à des sanctions de la CNIL, habilitée à prononcer des avertissements, des mises en demeure, des injonctions de cessation du système de vidéosurveillance ainsi que des sanctions pécuniaires.
Qui peut consulter les images filmées, et quelle est leur durée de conservation ?
Seules les personnes habilitées peuvent visionner, dans le cadre de leurs fonctions, les images issues d’un système de vidéosurveillance, telles qu’un responsable de sécurité ou encore le Délégué à la protection des données.
Par ailleurs, l’employeur doit définir la durée de conservation des images issues des caméras, en lien avec l’objectif poursuivi. En tout état de cause, cette durée ne peut excéder un mois, sauf en cas de procédure disciplinaire ou pénale où les images pourront être conservées le temps de ladite procédure.
Elodie Nesa
Élève-avocat
Droit du travail/Droit de la sécurité sociale.
NDLR : Article initialement publié sur Le Village de la Justice.