Le risque psychosocial fait référence à un ensemble de risques professionnels liés à une exposition pathogène pour la santé mentale du salarié. Ce risque s’est en premier lieu traduit par la reconnaissance du harcèlement moral depuis la Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, puis quelques années plus tard par la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, d’accidents de travail et encore plus récemment, de maladies professionnelles hors tableau. Il ne s’agit évidemment pas de contester l’existence de ce risque malheureusement vécu par un certain nombre de salariés, mais de pointer du doigt les déviances et errements générées par son mode de reconnaissance.
Par Christophe Martin.
Le mal-être dû au travail, qui peut devenir pathologie, est une réalité à laquelle certains sont confrontés. C’est un fait avéré. La difficulté réside dans la détermination de la frontière entre d’une part, le mal-être liée à une inadéquation par rapport à son environnement de travail, à son poste, à son équipe ou à ses supérieurs hiérarchique et, d’autre part, l’exposition pathogène pouvant donner lieu à protection.
En d’autres termes, ou s’arrête le l’inconfort individuel et où commence le risque psychique ?
Les écueils de la procédure de harcèlement moral.
Les quinze années écoulées ont donné leur lot d’enseignements en matière de reconnaissance d’une situation de harcèlement.
Tout praticien en droit social connaît les difficultés d’une telle procédure, en premier lieu dans l’administration de la preuve.
Un grand nombre de procédures introduites ne parviennent pas à convaincre les juges, principalement pour ce motif, et pour cause, la charge de la preuve appartient en grande partie au demandeur, démonstration qui peut se faire par tout moyen, témoignages, échange de courriers notamment.
Le choc psychologique reconnu comme accident de travail.
Si le droit du travail impose cette lourde charge de la preuve, le droit de la sécurité sociale répond quant à lui à une logique de présomption d’imputabilité, logique plus favorable aux assurés comme nous allons le voir. Cette présomption est le corollaire du mode d’indemnisation de ce régime sur les risques professionnels.
En effet, au titre d’un accidents de travail ou d’une maladie professionnelles, il est accordé une indemnisation forfaitaire des préjudices et ce, contrairement au droit commun de la responsabilité pour laquelle, l’indemnisation est réalisée au titre de chaque chef de préjudice.
En somme, la victime est plus aisément indemnisée, mais moins favorablement qu’un justiciable de droit commun, puisqu’elle ne l’est pas sur son préjudice réel mais sur une indemnisation tarifée.
Cette présomption d’imputabilité, pilier central du régime des risques professionnels, est une présomption selon laquelle est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise (Article L.411-1 du code de la sécurité sociale).
Très concrètement, s’il est établi qu’un fait accidentel est survenu au temps et lieu de travail et qu’une lésion a été constatée médicalement dans un temps proche des faits déclarés, l’accident peut être pris en charge.
Dans la pratique, le salarié/ assuré qui se prétend victime d’un choc psychologique suite à une altercation avec son supérieur hiérarchique, un collègue de travail ou un client, pourra demander à son employeur de le déclarer en accident de travail.
Selon la règle énoncée, il lui suffira seulement d’établir d’une part, que le jour dit, un entretien ou une réunion s’est tenue avec l’auteur de ce choc, et d’autre part, qu’il a fait un malaise sur le lieu de travail.
Cette déclaration d’accident de travail devra en outre être assortie d’un certificat de son médecin traitant, établie dans un temps proche des faits allégués, document devant constater l’état psychologique de son patient. En ce sens, voir notamment : Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 4 mai 2017 [1] : "Attendu que pour rejeter ce recours, l’arrêt retient que la salariée ne démontre pas en quoi l’entretien avait eu un caractère inattendu et s’était déroulé dans des conditions susceptibles d’être à l’origine d’un choc psychologique, que le ton de la supérieure hiérarchique, tout culpabilisant et directif qu’il ait pu être, ne permettait pas d’expliquer un tel choc, et que la salariée ne démontrait pas l’existence d’un lien entre le malaise dont elle avait été victime et l’entretien ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la salariée avait été victime d’un malaise survenu aux temps et lieu de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Contrairement au harcèlement moral où les salariés peinent, et on le comprend, à réunir des témoignages de collègues, la situation est quelque peu différente en matière d’accident de travail."
Il n’est donc pas rare de voir des salariés, interrogés par le service instructeur de la CPAM, témoigner de la survenance d’un tel fait.
Ce schéma qui vient d’être décrit est celui vécu par les entreprises et rencontré par les services instructeurs des Caisses Primaires à l’occasion de l’instruction des dossiers.
Dès lors que le salarié fait cette démonstration, il revient à l’employeur de démontrer, d’une part, l’existence d’une cause étrangère aux lésions constatées et, d’autre part, que le travail n’a joué aucun rôle.
Cette double démonstration est sinon impossible, en tout cas, très difficile à faire dans le champ du risque psychosocial.
En effet, selon une jurisprudence établie et un mode d’instruction calibré par la CNAMTS, si les circonstances de temps et de lieu sont confirmées, par exemple la tenue d’un entretien entre un supérieur et son subordonné ou un échange houleux entre deux collègues de travail, il importe peu de démontrer l’existence de violences verbales et ce, dès lors qu’un état de stress ou un malaise a été constaté au temps et lieu de travail. En ce sens, voir notamment :
Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 4 mai 2017 [2] : "Attendu que pour rejeter ce recours, l’arrêt retient que la salariée ne démontre pas en quoi l’entretien avait eu un caractère inattendu et s’était déroulé dans des conditions susceptibles d’être à l’origine d’un choc psychologique, que le ton de la supérieure hiérarchique, tout culpabilisant et directif qu’il ait pu être, ne permettait pas d’expliquer un tel choc, et que la salariée ne démontrait pas l’existence d’un lien entre le malaise dont elle avait été victime et l’entretien ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la salariée avait été victime d’un malaise survenu aux temps et lieu de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
L’appréhension de l’ensemble de ces éléments, concourant à l’existence d’une présomption d’imputabilité, est du domaine de l’appréciation souveraine des juges du fond."
Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 4 avril 2018 [3] : "Mais attendu que sous couvert du grief non fondé de contradiction de motifs, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion devant la Cour de cassation l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve débattus devant eux ;" [4]
On conçoit donc aisément la tentation d’obtenir par le biais du droit de la sécurité sociale ce que l’on ne pourrait obtenir par le biais du droit du travail dans le cadre d’une demande de reconnaissance d’un harcèlement moral…
On perçoit également l’enjeu d’un tel phénomène dans le management d’une entreprise, un simple différent à l’occasion du travail pouvant être reconnu comme accident de travail.
A ce titre, l’intéressé bénéficiera de toute la protection attachée aux risques professionnels sur le plan du licenciement.
Par ailleurs, cette pratique peut être érigée en véritable stratégie dans la perspective d’un contentieux prud’homal en harcèlement moral dans la mesure où une reconnaissance d’accident de travail permettra au salarié d’étoffer son dossier.
Aussi, la fréquence de ces pratiques allant croissant alors que les relations de travail se durcissent dans le monde du travail, il est important que l’entreprise intègre cette donnée dans son mode de management sauf à s’exposer à ce risque en pleine expansion.
Par ailleurs, le risque psychosocial étant un risque particulier, voire même singulier eu égard à la spécificité de ses faits générateurs, il serait donc nécessaire que son mode de reconnaissance fasse l’objet de dispositions particulières, les dispositions relatives à la prise en charge d’un accident de travail n’étant à l’évidence pas adaptées.
En définitive, sauf à dévoyer une législation qui a démontré tout son intérêt dans l’indemnisation des salariés, il serait grand temps de définir et circonscrire la notion de fait accidentel à l’aune de l’évolution des rapports sociaux au sein de nos entreprises.
Christophe Martin
Juriste conseil et contentieux.