La fixation des objectifs par l’employeur : quelles règles ?

Les objectifs d’un salarié, conditionnant une partie de sa rémunération, peuvent être définis unilatéralement par l’employeur. Lorsque les objectifs sont ainsi fixés, l’employeur ne dispose pas d’une latitude totale. La Cour de cassation vient de le rappeler.

1/ Le principe : l’employeur peut fixer les objectifs de manière unilatérale.

Selon une jurisprudence classique de la Cour de cassation, les objectifs d’un salarié peuvent être définis par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction [1].

Cependant, si le contrat prévoit que la fixation des objectifs doit résulter d’un accord des parties et que l’employeur les détermine seul, l’absence de leur réalisation, reprochée au salarié, ne peut pas constituer un motif de licenciement [2].

En effet, l’employeur ne peut pas se prévaloir de la violation du contrat de travail, de son fait, au soutien d’une mesure de licenciement.

Par ailleurs, lorsque le contrat de travail stipule que la rémunération variable dépend d’objectifs fixés annuellement par l’employeur, celui-ci a l’obligation de les déterminer.

A défaut, le salarié est fondé à solliciter le versement d’une rémunération variable, comme la Cour de cassation le décide de manière constante [3] :

« Attendu qu’ayant relevé que l’employeur, qui avait l’obligation d’engager chaque année des négociations avec le salarié en vue de fixer d’un commun accord avec lui les objectifs dont dépendait la partie variable de sa rémunération, n’établissait pas avoir satisfait à cette obligation, la Cour d’appel en a exactement déduit qu’il était débiteur, au titre des années 2007 et 2008, de la rémunération variable dont, à défaut d’accord entre les parties, elle a fixé le montant ».

Le manquement de l’employeur peut d’ailleurs justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié ou une résiliation judiciaire, en fonction des sommes en jeu.

Tel était le cas dans cet arrêt, la Cour d’appel ayant constaté que le salaire variable était calculé sur la base de 60% de la rémunération fixe, de sorte que le manquement de l’employeur avait empêché la poursuite du contrat de travail.

La question se pose de savoir à quelle rémunération variable le salarié peut prétendre en cas d’absence de fixation des objectifs par l’employeur.

Pour la Cour de cassation, il appartient au juge du fond de déterminer le montant de la rémunération variable en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes et, à défaut, des données de la cause.

En revanche, le juge ne peut pas condamner l’employeur à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation contractuelle de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable [4].

En conclusion, la constatation de l’absence d’objectifs ne permet pas au salarié de bénéficier, dans tous les cas, de l’intégralité de sa rémunération variable.

Au contraire, il appartient à ce dernier de produire tous éléments utiles, afin de convaincre le juge du montant qu’il estime lui être dû.

2/ Les conditions : le pouvoir de direction de l’employeur est encadré par la loi et la jurisprudence.

Si l’employeur peut fixer les objectifs de manière unilatérale, la loi et la jurisprudence encadrent son pouvoir, dans un souci de protection du salarié.

Tout d’abord, tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français [5].

Ainsi, des objectifs définis dans une langue étrangère sont inopposables au salarié [6] sauf si une traduction en français est rapidement diffusée [7].

Cette règle est loin d’être théorique, notamment en présence de clauses complexes établies par des entreprises étrangères à destination de salariés employés sous un contrat de travail soumis au droit français.

Par ailleurs, les objectifs fixés doivent être réalisables [8], à défaut de quoi il ne peut être reproché au salarié de ne pas les avoir atteints [9].

Enfin, les objectifs doivent être portés à la connaissance du salarié en début d’exercice [10], dans la mesure où il doit nécessairement connaître à l’avance les modalités de détermination de son salaire.

La Cour de cassation admet néanmoins, dans certaines circonstances, que l’employeur ne puisse fixer, en début d’exercice, des objectifs réalisables et pertinents, par exemple à la suite de l’intégration effective de la société au sein d’un groupe [11].

Dans un arrêt du 8 avril 2021 [12], la Cour de cassation a précisé que, si l’employeur peut modifier les objectifs annuels dans le cadre de son pouvoir de direction, il lui appartient cependant de le faire en début d’exercice, et non en cours d’exécution alors qu’il prend connaissance de leur niveau d’exécution.

En l’espèce, un employeur avait modifié à la hausse les objectifs d’un « Gestionnaire de comptes », en fin d’exercice, soutenant que celui-ci les avait atteints trop facilement.

Or, il est interdit à l’employeur d’ajuster les objectifs du salarié après leur fixation.

La Cour de cassation avait déjà jugé qu’en modifiant sans l’accord du salarié la nature des objectifs qu’il devait atteindre, en ajoutant aux objectifs de vente initialement prévus des objectifs d’ouvertures de comptes et de réactivation de comptes, l’employeur était responsable d’une modification unilatérale du contrat [13].

Xavier Berjot, Avocat.

Article initialement publié sur Le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Cass. soc. 22-5-2001 n° 99-41.838.

[2Cass. soc. 18-4-2000 n ° 97-43.743.

[3Ex. Cass. soc. 19-11-2014 n° 13-22.686.

[4Cass. soc. 15-5-2019 n°17-20.615.

[5C. trav. art. L1321-6.

[6Cass. soc. 29-6-2011 n°09-67.492.

[7Cass. soc. 21-9-2017 n° 16-20.426.

[8Cass. soc. 2-12-2003 n°01-44.192.

[9Cass. soc. 13-01-2009 n°06-46.208.

[10Cass. soc. 2-3-2011 n°08-44.978.

[11Cass. soc. 3-2-2011 n°08-44.977.

[12Cass. soc. 8-04-2021 n° 19-15432.

[13Cass. soc. 28-10-2008 n° 07-40.372.